« Depuis cinq ans, ma traçabilité est exemplaire, ce respect me rend serein »
Toute bardée de chêne, la façade de sa maison est déjà une œuvre en soi. En trois ans, Jean-Guillaume Mathiaut a fait de cette ancienne écurie un lieu méditatif destiné au travail du bois. Une succession de petites pièces à vivre, évoquant les salons de thé japonais et les cabanes qui l’ont fait connaître. Dans l’atelier-cathédrale, ses créations, des outils et le bois en plot et en planche qui sera sculpté à mains nues sur une scie à plat. « A lame vive », à l’âme vive, selon le terme choisi par cet ancien épéiste, amateur d’arts martiaux. « Ma force, ce sont les angles, raconte-t-il. Malgré le poids du bois massif, il faut que le geste soit vif et d’un seul trait du début à la fin, c’est comme un art martial appliqué à la forêt. Je porte un casque, mais pas de gants, c’est un risque que je prends, une forme d’échange », ajoute-t-il. Un éclat vole facilement à plus de 100 km/heure. Il y a souvent de petits accidents. Jean-Guillaume Mathiaut travaille ensuite le velouté des surfaces avec une règle en laiton qui polit les tanins. « L’eau encapsulée remonte à la surface, explique-t-il, elle continue à vivre dans le bois et crée des lavis, certains magnifiques. » Bancs, tables, tabourets, sculptures à la silhouette monumentale racontent la poésie de la nature. Ils évoquent ce que les géologues appellent les « blocs erratiques », ces roches déplacées par la force de l’eau et arrêtées net dans d’étranges postures. Telles des sculptures en déséquilibre depuis des millénaires. Des rochers à la présence forte, comme ceux de la forêt de Fontainebleau. Né à Bourron-Marlotte, en Seine-et-Marne, l’artiste connaît bien cette forêt, pour y avoir beaucoup campé, adolescent, avec des amis. Un refuge heureux, loin de la famille. Désormais, il la traverse à 5 heures du matin avec une lampe frontale, une peau lainée et une liasse de billets. « L’Office national des forêts donne rendez-vous lors de la découpe à quelques petits artisans comme moi, mais aussi à des gros qui travaillent pour l’étranger. Avec du recul, l’image de cette traversée est assez drôle, mais la nuit vous n’en menez pas large, raconte-t-il. Je vais chercher mon bois, comme un cuisinier son poisson au retour de la pêche, c’est le seul moyen d’acheter un arbre de premier choix. »
Il sélectionne uniquement des bois tombés lors de tempêtes, morts ou malades, des forêts de Fontainebleau, de Sologne ou du Pays basque. Et préfère frapper aux portes des propriétaires de parcs privés de Seine-et-Marne plutôt que de contribuer à la déforestation en Europe. « Comme toutes les matières premières, le bois est une denrée de plus en plus rare. Son cours dépasse désormais celui du marbre ou du cuivre », assure-t-il. Marquage, transport, scierie, poinçons lui permettent ensuite de reconstituer l’intégralité du tronc. « Mon process est artisanal, prendre soin de l’arbre de bout en bout, hors des circuits industriels, a été long à mettre en place. Depuis cinq ans, ma traçabilité est exemplaire, ce respect me rend serein. Je trouve qu’il m’arrive de très belles choses depuis. »
DES COLLECTIONNEURS AUX PEOPLE
L’artiste a clos son premier « solo show » en mai 2022 à la galerie Kolkhoze dans le Marais, à Paris, et vernit en octobre 2022 une exposition à la galerie Lucas Ratton, sur la Rive gauche. Son travail était déjà connu de collectionneurs éclairés, mais le confinement et Instagram ont accéléré sa notoriété. Le chanteur Jay-Z a débarqué à Bourron-Marlotte avec sa clique, et Grace Jones a reçu son banc en mains propres dans un hôtel parisien. Le village est habitué aux figures de la mode, de la danse, du design et de la peinture qui ont leurs maisons au bord du Loing et entretiennent depuis Corot, Sisley et Zola l’esprit de bohème. Ils aiment les cabanes et le mobilier d’art, sont séduits par la maîtrise des lignes de fuite et des proportions de l’artiste, aussi architecte DPLG et longtemps dessinateur de perspective à main levée. Jean-Guillaume Mathiaut a été recherché pendant des années pour son trait qu’il a prêté aux projets du botaniste et inventeur des murs végétaux Patrick Blanc et des architectes Edouard François et Jean Nouvel. Le bois ne faisait alors pas encore partie de sa vie. C’est à Biarritz, auprès de son oncle Joseph, charpentier, qu’il réapparaît après un accident de la vie. Ni menuisier ni ébéniste, mais artiste, il se perfectionne à Kyoto, au Japon, connu pour ses artisans menuisiers : « Ce sont les maîtres qui vous recrutent là-bas, pas l’inverse. J’ai surtout appris à me poser. » Il commence par construire des jouets pour sa fille inspirés par l’architecture : des cités radieuses, des totems brutalistes, qui valent aujourd’hui une fortune. Et le Japon continue de le soutenir en filigrane. « Ce sont eux qui m’ont donné ma chance », raconte-t-il. Le styliste Issey Miyake lui confie le premier la scénographie de sa boutique de la rue Royale, à Paris, en 2010. Suivent d’autres noms de la mode japonaise, Yohji Yamamoto, Rei Kawakubo, puis leurs amis esthètes à Paris, à Tokyo. Certains collectionnent les salons de thé comme des tableaux, d’autres veulent robinsonner au Palais-Royal. L’artiste débute, il s’amuse, dessine un lustre avec des cordes coulissantes et des contenants en bois qui glissent d’un lit superposé à l’autre, une bouteille de vin, un fromage, un livre. Ses créations de gentleman des bois se fraient un rapide chemin dans l’intelligentsia mondiale. Aujourd’hui, il est sollicité pour aménager les refuges de privilégiés qui se relocalisent en Suisse et dans l’Amérique des grands parcs. Ce succès lui permet de dérouler son projet, Château Marmotte. Chez lui seront érigées des cabanes ouvertes aux enfants et des œuvres d’amis artistes. Il désigne devant la terrasse une centaine de pousses d’arbustes au pied d’un grand chêne qu’il a sauvé du lierre l’an dernier. Ils doivent faire de larges et solides racines, pour s’étirer en hauteur. Il doit ouvrir également à Biarritz, là où il a su bifurquer, un magasin de jouets en bois pour enfants.
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Photo d’ouverture : Jean-Guillaume Mathiaut dans son atelier.