Le bois nouveau bien commun ?

La forêt est une source inépuisable de bienfaits à l’origine de l’oxygène, du bois, de la nourriture ou de médicaments. Une amie souvent malmenée et exploitée qui persiste à nous vouloir du bien. Et dont le cours semble grimper en flèche.

La forêt est une source inépuisable de bienfaits à l’origine de l’oxygène, du bois, de la nourriture ou de médicaments. Une amie souvent malmenée et exploitée qui persiste à nous vouloir du bien. Et dont le cours semble grimper en flèche.

«Sans les arbres, l’humanité serait condamnée», répète à l’envi le botaniste Francis Hallé, grand défenseur de la forêt. Chênes sessiles, cèdres, pins de Douglas ou sylvestre… captent le CO, et offrent des habitats a la biodiversité tout en constituant une incroyable barrière au réchauffement climatique. Depuis quelques années, le marché de la forêt s’emballe, porté par nos préoccupations écologiques mais pas seulement. Grâce à l’innovation de jeunes entreprises, des solutions incitent à investir durablement. «Depuis environ cing ans, de nouveaux acteurs sont apparus, remarque Pierre Audessat, expert en biens ruraux. Des institutions ou des particuliers animés par un désir de se rapprocher de la nature, portés par la conviction qu’investir dans les bois aura un impact positif dans les années a venir.» Un élan que même les gigantesques incendies qui ont ravagé près de 66 000 ha en France durant l’été 2022 n’ont pas ralenti. Au contraire. « Investir dans la forêt, alors que les feux deviennent plus violents, durent plus longtemps et que les arbres souffrent de maladies et de problèmes de sécheresse intense, est paradoxal et révélateur d’une prise de conscience et d’une volonté d’agir pour limiter le réchauffement climatique.»

En réaction, le Festival We Love Green a acheté sa première parcelle forestière de 17 ha (170000 m) au cour de la forêt des Landes. Et s’est engagé à replanter des essences locales suffisamment diversifiées (loin des résineux à perte de vue) pour protéger ce territoire fragilisé. Acheter des bois n’est plus l’affaire de quelques familles aisées, il s’impose comme un projet à partager entre potes ou voisins quis inscrivent dans cette mouvance pour défendre le vivant, organiser une source de revenus complémentaire. EcoTree permet de devenir propriétaire d’un ou de plusieurs arbres (à partir de 18€). La société de gestion forestière numérique reboise les forêts abandonnées qu’elle entretient durablement afin d’augmenter la biodiversité et redistribue les bénéfices aux copropriétaires une fois les arbres récoltés. L’arbre devient un produit financier presque comme les autres. En neuf ans, la start-up brestoise a planté et/ou géré plus de 1,7 million d’arbres grâce à l’investissement de plus de 76000 particuliers et de quelque 1 500 entreprises.

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La sylvothérapie consiste à câliner les arbres pour leur énergies réparatrices. Crédit photo : Aldo Sperber.

Immersions thérapeutiques

Au Japon, la petite exploitation forestière reste la principale caractéristique des forêts privées, qui couvrent plus de deux tiers du territoire. Soit 25 millions d'hectares de troncs à enlacer et de sous-bois où se ressourcer. Au-delà des ressources que procure l'exploitation forestière, il subsiste ici une véritable culture du bois. L'immersion sensorielle sous les feuillages est considérée depuis 1927 comme une pratique thérapeutique. Dans les années 1980, le gouvernement nippon a inclus le bain de forêt (shinrin yoku) dans son programme de santé comme pratique médicinale. Dans son ouvrage Shinrin Yoku (Editions First), le Dr Qing Li, immunologiste au département de santé publique de l'Université de Tokyo et membre fondateur de la société japonaise de sylvothérapie, affirme que les marches en pleine conscience sous les frondaisons renforcent le système immuni-taire, contribuent à réduire la tension artérielle, à équilibrer le système nerveux et à abaisser le taux d'hormones de stress. Des bienfaits liés aux phytoncides, des molécules libérées par les arbres, et au Mycobacterium vaccae, une bactérie non pathogène présente dans le sol, réputée pour stimuler la production de sérotonine et de noradrénaline dans le cerveau, comme un antidépresseur naturel. Depuis, la pratique du bain de forêt s’est commercialisée et occidentalisée. « C’est un véritable coup de fouet pour le moral », s’enthousiasme Emilie Guillois, sylvopraticienne basée en Mayenne. Les premiers effets se feraient sentir au bout de vingt minutes passés près des arbres et dureraient plusieurs jours. « Connecter ses cinq sens aux arbres, au ciel et à la terre, permet de se nourrir de toutes les richesses de la nature, de réinitialiser son système nerveux et de s’ancrer dans le moment présent », ajoute l’arbrothérapeute.

« Le bois de hêtre figure dans la formule originale des premiers savons européens » 

Anne-Claire d’Izarny-Gargas, fondatrice des cosmétiques Les Bois

De nombreux événements pédagogiques et culturels invitent à ce retour à soi et à la nature. Chaque été, les Nuits des forêts permettent de découvrir les différentes facettes du milieu forestier à travers la France, tout comme le Festival des forêts au cœur des forêts de Laigue et de Compiègne, dans l’Oise. Outre des concerts de musique classique de haut vol, cet événement qui vient de fêter sa 31e édition propose, toute l’année, des balades musicales guidées par un forestier et des bains de forêt musicaux. « La forêt ne peut laisser personne indifférent, plaide Bruno Ory-Lavollée, son fondateur et directeur artistique. L’émotion que procure son décor majestueux prépare à l’émotion de la musique, et vice-versa ; une reconnexion à la nature, à la musique et à soi-même. »

Les richesses de la forêt n’ont pas échappé au secteur de la clean beauty, et de nouvelles marques explorent le pouvoir régénérant et déstressant des actifs sylvestres. Les Danois de Woods Copenhagen ont mis au point un masque à l’extrait d’écorce de saule ; Océopin, originaire du Cap-Ferret (Gironde), mise sur l’huile de graine de pin maritime ; Skov Elements (marque française au nom danois – skov signifiant forêt) table sur le sapin des Vosges et le mûrier blanc, tandis que la croate Wood Cosmetics parie sur les conifères locaux et qu’Anato, label californien lancé par une Française, propose une gamme complète forest-to-face… « Les arbres ont toujours fait partie de la composition des cosmétiques, le bois de hêtre figure dans la formule originale des premiers savons européens, assure Anne-Claire d’Izarny-Gargas, qui a créé en 2020 Les Bois, des cosmétiques à base d’essences de la forêt française. Nos arbres sont un trésor de principes actifs : les feuilles de chêne sont ultra-concentrées en polyphénols, des molécules qui agissent sur le vieillissement cutané, l’écorce de pin des Landes contient du pycnogénol, un puissant antioxydant… » Sa société Les Bois reverse 10 % de ses bénéfices à l’association Agir pour la forêt.

Toucher du bois

Dans la mode, on touche également du bois. Car il se révèle doux comme du cuir, chaleureux comme la laine, structuré comme du taffetas de soie. Le lyocell, une fibre textile produite à partir de la pulpe de bois, n’en finit pas de séduire les marques en quête de labels écoresponsables. Mais on retient House of Rocio, adepte des trois R – réduire, réutiliser, recycler. La maison écossaise s’est spécialisée dans des sacs et pochettes en bois d’acacia. Ses pièces appellent au toucher. Non pas pour conjurer le mauvais sort, mais pour mieux révéler leur sensualité. Au plaisir tactile s’ajouterait un sentiment de quiétude : selon une étude japonaise de 2017, toucher du bois avec la paume de la main pendant quatre-vingt-dix secondes calme l’activité du cortex préfrontal et induit une activité nerveuse parasympathique, entraînant une relaxation physiologique. Le bien-être à portée de sac à main. 

(1) Publiée dans l’ International Journal of Environmental Research and Public Health.

Crédit photo d’ouverture : Andrea Olga Mantovani.

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