Le jeu d’enfant devient aussi un défi, un plaisir, un symbole d’égalité et d’émancipation. Laura Leonelli consacre un livre et une exposition à toutes ces femmes qui ne veulent pas descendre.
Environ 200 photos de la collection de Laura Leonelli sont exposées à la Galerie Magazzino Delle Idee, à Trieste (Italie), jusqu'au 25 août. Des visites guidées et commentées par Laura Leonelli sont programmées du 9 au 11 août et du 23 au 25 août.
Après le Festival de photographie d’Athènes en juin et juillet dernier, le livre de Laura Leonelli I Won’t Come Down est sélectionné pour le Prix des livres des Rencontres de la photographie d'Arles 2024, qui ont lieu jusqu’au 29 septembre (rencontres-arles.com).
Elles grimpent dans les branches, juste pour poser devant l’appareil. Seules ou en groupe, entre amies. Souriantes, confiantes, déterminées. La journaliste et écrivaine Laura Leonelli a réuni dans un livre(1) 130 clichés anonymes de femmes et de filles de tout âge, photographiées dans les arbres entre 1900 et 1976. « Ces photos non signées sont le symbole d’un combat tout en représentant le degré zéro artistique, nous raconte-t-elle. Comme un geste instinctif, un regard pur, témoins d’une envie d’indépendance. Un souvenir à travers l’image. »
Ce lien entre la femme et l’arbre a traversé la mythologie, les religions et l’histoire de l’humanité pour devenir encore plus fort vers le milieu du XIXe siècle. « Le mouvement commence aux Etats-Unis en 1868, avec la publication des Quatre filles du docteur March (Little Women en anglais, ndlr), de Louisa May Alcott, explique l’auteure. Un roman écrit par une femme et qui raconte les femmes. Un énorme succès, adapté plusieurs fois au cinéma. Jo March est la première héroïne de la littérature moderne à bouquiner sur un arbre, qui devient ainsi un lieu à part : plus haut que la terre, plus bas que le ciel, il connecte les deux, et symbolise la transformation personnelle à travers la lecture, la culture. » Cette nouvelle liberté sous les traits de Jo inspire les jeunes Américaines, qui commencent à grimper dans les branches pour lire, écrire, chanter, rire. Pour s’inventer un autre monde, voir plus loin, s’élever socialement. Et s’émanciper. Elles revendiquent cette envie de changement à travers leurs propres photos, témoignages de la température sociale. « En 1898, la commercialisation d’un appareil photo de poche pliant Kodak rend les Américaines plus puissantes : la photo entre dans leur quotidien, change leur perception des choses et devient un symbole d’expression. »
D’où la collection importante des photos que l’auteure a découvertes aux Etats-Unis. « La simplicité vestimentaire féminine outre-Atlantique, le port du pantalon et de la salopette y ont favorisé cette nouvelle liberté. Il y a cette photo des années 1940 de femmes posant en jeans, on aurait dit de la publicité pour une marque d’aujourd’hui ! »
Tandis qu’en France et ailleurs, elles continuent longtemps à y grimper en jupe et escarpins – le pantalon restant souvent interdit en public. « Dans Mémoires d’une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir raconte qu’enfant, elle n’avait pas le droit de courir, faire du vélo, porter de pantalons ou monter dans les arbres. Car pour sa mère, cette agilité physique – presque animale – requise n’était ni féminine ni compatible avec son rang social. Elle en parle d’ailleurs, en 1949, dans son essai Le Deuxième Sexe : selon elle, les filles ne vont pas dans les arbres pour ressembler aux garçons, mais parce qu’elles en ont autant envie qu’eux… » C’est la parité au défi et au plaisir, ce sentiment éprouvé en épousant le tronc d’un arbre avec son propre corps, le besoin de découvrir sa sexualité, d’être égale avec l’homme – que l’on voit parfois poser lui aussi sur ces images, solidaire au combat et complice. « J’ai réuni plus de 400 photos anonymes sur ce sujet(2), conclut Laura Leonelli. Et j’ai découvert une chose : toutes ces femmes ne montent pas pour fuir la société, mais pour mieux y trouver leur place, prendre en main leur destin. Dialoguer avec elles-mêmes et redescendre encore plus fortes. »
(1)
I Won’t Come Down, (« Je ne descendrai pas »),
paru en italien et en anglais, éd. Postcart, Rome.
site web : postcart.com
(2)
Environ 200 photos de la collection de Laura Leonelli seront exposées à la Galerie Magazzino Delle Idee,
à Trieste (Italie), du 17 mai au 25 août.
renseignements : magazzinodelleidee.it