Au Japon, là où les âmes s’élèvent

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A l’occasion de la Toussaint, zoom sur l’architecture avant-gardiste des chapelles, crématoriums et ossuaires japonais. Au pays du Soleil-Levant, la mort et le rapport aux ancêtres est une chose sérieuse. De grands designers construisent de nouveaux lieux funéraires, des bâtiments ouverts et baignés de lumière. Une manière de célébrer les morts en soignant les vivants.

Imaginer des lieux plus beaux dotés de qualités esthétiques qui élèvent l’âme. De la même façon que certains hôtels commandent des églises « spécial mariage » à des « starchitectes » pour attirer la clientèle des jeunes mariés fortunés, au Japon, chapelles, crématoriums ou columbariums (lieux où l’on dépose les urnes funéraires) se réinventent grâce à la vision d’architectes empathiques, qui en font des endroits clairs, vivants et facilement accessibles. « A l’image d’une auberge, un columbarium convivial devient un lieu où le défunt peut se détendre avec sa famille endeuillée », vont jusqu’à écrire les architectes de TeamStar, qui ont signé le lumineux projet Prabha, à Oita.

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Le crématorium Meiso no Mori, à Gifu, par Toyo Ito, en 2006, et son toit aux douces courbes de nuages – ©Courtesy of Toyo & Associates, Architects

C’est que la mort est un sujet prégnant au pays du Soleil-Levant et un secteur économique en pleine expansion. Les plus de 65 ans représentent 29 % de la population (un Japonais sur dix a plus de 80 ans), et le taux ne fait qu’augmenter. Comme le nombre de décès. Depuis l’an 2000, il dépasse chaque année le million, jusqu’à atteindre 1,59 million en 2023.

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Elégante comme un hôtel de luxe, l’entrée de l’ossuaire Prabha, à Oita, par l’agence TeamStar, en 2023 -©Tetsuya

Dans les métropoles, le prix des concessions s’envole (quand les cimetières n’affichent pas complet) et des entreprises sont spécialisées dans le compactage des cendres mortuaires ou le nettoyage des appartements où des personnes âgées isolées ont rendu leur dernier souffle. Dans les campagnes, exode rural aidant, c’est l’inverse. Alors communes désertées et temples bouddhistes (qui gèrent le deuil au Japon) délaissés réfléchissent à attirer ou fidéliser de futurs « résidents » pour leur cimetière ou columbarium. Comment donner envie aux familles d’installer leur(s) mort(s) sur ces terres vacantes plutôt qu’ailleurs ? Comment les rendre si désirables qu’elles veuillent y élire leur dernière demeure ?

En les rendant plus accueillantes, en cherchant à accompagner ceux qui restent. Et donc en demandant à de grands noms de l’architecture de dessiner chapelles, crématoriums et columbariums spécialement pensés. Les premières, généralement détachées de toute appartenance religieuse et en connexion avec la nature environnante, apportent calme et sérénité aux obsèques, comme aux visiteurs dans la peine. C’est le cas de celle dessinée par NAP, l’agence d’architecture d’Hiroshi Nakamura. Elle se dresse, tel un élégant tipi habillé de bardeaux d’aluminium, à la lisière du bois qui borde le cimetière de Sayama, près de Tokyo. Les lignes élancées du bâtiment vers le ciel semblent accompagner les prières et les pensées, tout en offrant par de larges ouvertures vitrées une vue généreuse sur les sous-bois alentour.

« Quand je vois des enfants jouer à l’intérieur de l’ossuaire, je me dis que
nous avons réussi à nous reconnecter avec nos ancêtres »

Furumori Koichi, architecte

Quant aux crématoriums, la gageure tient à parvenir à transformer la violence émotionnelle de l’incinération en une expérience spirituelle. C’est ce qu’a réalisé Toyo Ito, à Gifu : Meiso no Mori, dont le toit aux lignes courbes devient paysage, en harmonie avec la silhouette des montagnes environnantes. A l’intérieur, la lumière indirecte éclaire le plafond incurvé, créant un espace serein aux nuances changeantes, idéal pour accueillir les cérémonies. Au crématorium de Hofu, le moine bouddhiste et célèbre paysagiste Shunmyo Masuno a conçu des jardins zen, qui, grâce à leur forte symbolique, guident les vivants tout au long de leurs adieux à leur mort.

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Le colombarium Unlimited Light Myoenji, à Lizuka, par Furumori Koichi, en 2014, reste frais et lumineux même en été, sans éclairage électrique ni climatisation –
©Kyoko Omori

Et puis, derniers refuges des urnes, les columbariums ne sont pas oubliés. « J’ai entendu dire qu’à Okinawa, une coutume consiste à manger et danser devant les tombes, raconte Furumori Koichi, l’architecte qui a signé l’ossuaire Prahba, à Oita. Mais dans les zones urbaines, le lien avec les ancêtres s’affaiblit, hélas. Avec ce bâtiment, nous avons cherché une manière de nous reconnecter avec eux. Alors, quand je vois des enfants courir et jouer à l’intérieur, j’ai l’impression que nous avons réussi.»

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