Médenine est déjà loin , et oued el khil pointe au bout du chemin . Il faut quitter la route principale et ses paysages ocre et arides, serpenter à travers champs avant de découvrir un havre de verdure. Une oasis de vie aménagée aux portes du Sahara, avec grillons, coqs et moutons en bande-son. Trois hectares de terre caillouteuse et argileuse, devenue fertile et six houch en forme d’écodômes dispersés dessus. Depuis 2018, ces équivalents tunisiens des riads marocains attirent les visiteurs en quête d’autre chose. De randonnées vers les nombreux ksour, ces greniers des tribus berbères, de découvertes d’autres pratiques agricoles, de rencontres, d’échanges à un prix raisonnable (compter une centaine de dinars, soit 30 à 40 € par personne). Radhouane Tiss, à la tête du domaine, préfère prévenir : « On ne vient pas ici simplement pour passer une nuit tranquille.»
A ce tarif, les hôtes s’attendent à participer à une expérience insolite, à tenter un autre mode de vie et à goûter un suave petit-déjeuner avec bsissa maison, une pâte à base de farine et d’épices, et produits fraîchement cueillis.
Près de dix années après avoir décidé de faire revivre la parcelle de terre de ses ancêtres, Radhouane Tiss a réussi son pari : parvenir à combiner le travail agricole et celui d’hôte dans une démarche écoresponsable. Son Oued el Khil (la vallée des chevaux) atteint aujourd’hui 97 % d’autosuffisance alimentaire, troque avec le voisinage et participe à nourrir plusieurs familles.
Dans cette zone particulièrement chaude où les températures peuvent avoisiner les 49 °C, l’ancien professeur d’histoire-géographie de Bir Lahmar fait le choix d’avoir recours uniquement à des matériaux locaux, des savoir-faire traditionnels, et à l’aggradation naturelle du sol.
« J’essaie d’élaborer un système intégré et évolutif, axé sur la complémentarité des espèces, afin d’éviter les niches écologiques »
Il apprend les rudiments du métier aux côtés de communautés permacoles d’agriculteurs du coin, parfait sa formation en France et, de retour chez lui, choisit de privilégier les semences anciennes et les espèces moins gourmandes en eau.
Radhouane Tiss voit en la permaculture une démarche éthique qui s’appuie sur trois piliers majeurs : « Choyer la Terre, chérir son prochain et opter pour le partage des connaissances et des ressources. »
Il plante oliviers, figuiers, dattiers, lavande, aloe vera, mais aussi des crucifères, fixateurs d’azote et dotés de propriétés nutritives pour amender le sol. Investit ses économies dans le forage d’un puits en attendant de pouvoir compter sur l’autorégulation hydrique du sol, et importe de nouvelles graines de pays tropicaux. Il expérimente, sème du basilic venu de Thaïlande, du moringa indien et du neem du Burkina Faso.
« J’essaie de m’informer sur les espèces, d’apprendre les rôles et attributs de chacune d’entre elles, afin d’élaborer un système intégré et évolutif, axé sur la complémentarité des espèces, dans le but d’éviter les niches écologiques », explique-t-il en faisant visiter son potager. Sa parcelle de terre s’étoffe, verdit, produit, se diversifie avec un minimum d’énergie. Plus de 1 400 espèces d’ail, petits pois, carottes et pommes de terre ont trouvé leur place sans engrais ni pesticides. Sous les serres ou à l’ombre des arbres fruitiers et forestiers, Radhouane Tiss réussit à faire pousser pieds de tomates, piments et pousses de salades. Servis au frais le soir sur la grande table partagée de la cuisine. Les invités randonneurs, curieux de permaculture dans le désert ou égarés dans le Dahar, savourent le calme et la vie au grand air berbère. Ils peuvent s’y restaurer d’une chorba, d’un couscous, de bricks et de tajines tunisiens aux légumes cueillis le matin. Le petit-déjeuner se veut aussi local et sain. Ils pourront même repartir avec une des confitures maison de saison, d’abricot, pêche, poire ou citron. Même le miel provient du jardin. En ce moment les abeilles butinent les fleurs de romarin.
Instagram : @domaineouedelkhil