Ce matin, Aurélien, 39 ans, Parisien d’adoption originaire du Maine-et-Loire, s’est levé à 5 h 30. Il a trait ses vaches, les a emmenées paître où elles ont leurs habitudes, a pris son petit-déjeuner. Il a enchaîné de 10 h à 14 h 30 avec son job de serveur saisonnier, s’est accordé une courte sieste, avant d’aller chercher le bétail, le traire, le rentrer pour la nuit, puis a repris son plateau pour le service de 18 h à 0 h 30. Il voulait être vétérinaire, il est devenu architecte, puis journaliste, puis slasher, jonglant entre écriture, cours et organisation d’expositions. Avant de revenir à la montagne, qui a bercé son enfance, dix ans plus tard. « La montagne me manquait profondément, tous ces souvenirs de gamin, de paysages à couper le souffle, de fabrication de fromages, de troupeaux, de bétail », explique ce désormais jeune agriculteur. Conscient de la dureté de son futur métier comme de la nécessité d’en maîtriser les règles, il prépare en Savoie un brevet de responsable d’exploitation agricole, où il acquiert les connaissances indispensables pour survivre dans ce milieu. Quelques stages lui enseignent les rudiments du métier. Il poursuit avec une licence pro en fromagerie de terroir en alternance dans une coopérative laitière à Beaufort, en Savoie, perfectionne son savoir-faire en nouvelles techniques fromagères à la Laiterie de Paris, dans le 18e arrondissement. « C’était drôle de fabriquer du fromage en plein Paname, se souvient Aurélien, mais ce n’était pas l’histoire que j’avais décidé de vivre. »
Retour à la case montagne après un passage de deux ans par l’agriculture sociale et thérapeutique, auprès d’adultes autistes à la Ferme de Belle Chambre, à Sainte-Marie-du-Mont, dans l’Isère. Faute de moyens financiers pour reprendre une exploitation, et acheter des terres, il se lance dans l’élaboration de sa propre ferme, qu’il souhaite à taille humaine et loin des usines à lait actuelles. Il loue des bâtiments pendant que des agriculteurs lui prêtent leurs pâturages qu’il compte acquérir selon une organisation spécifique aux alpages, « mais c’est un système précaire », précise-t-il. Il prend conseil, s’enquiert des dernières techniques d’élevage, se passionne pour des pratiques ringardisées par l’industrialisation (l’utilisation de lait cru et non pasteurisé qui uniformise le goût des fromages, l’alimentation du bétail en pâturage l’été et en foin l’hiver au lieu de l’ensilage de maïs, la pratique oubliée de pâturage étagé…), élabore des montages financiers, développe des convictions et des solutions sur le futur de l’agriculture. Et opte pour une exploitation qui vise l’autosuffisance avec peu de bêtes et la possibilité à terme, si son montage économique fait ses preuves, d’engager une aide.
« Une fois sur place, mes amis se rendent compte
du travail, de la dureté de la montagne »
« Il y a dix ans, j’aurais fait rire tout le monde. » Aurélien mobilise sa famille, ses amis, sollicite les aides à la création, remplit des dossiers et lance une cagnotte solidaire. Il récolte 20 000 euros. De quoi acheter quatre tarantaises et le matériel pour en prendre soin. D’ici un an, avec un crédit bancaire et 40 000 euros d’aides de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il espère obtenir un budget de 180 000 euros, atteindre une production annuelle de 46 000 litres de lait et douze vaches laitières nourries au foin issu des prairies voisines. Plus un labo itinérant de transformation du lait basé sur le modèle des tiny houses. En novembre, Aurélien commencera à fabriquer fromages et yaourts. Les seconds compenseront le manque de rentabilité des premiers. « Les gens ici sont très heureux de consommer du fromage produit localement, comme de voir le retour des vaches dans la vallée du Haut-Bréda. » Eprouvé mais radieux, il ajoute que l’« on peut vivre de ses fromages mais on ne vit pas de fromages, d’amour et d’eau fraîche. Beaucoup d’amis veulent me donner un coup de main. Une fois sur place, ils se rendent compte du travail, de la dureté de la montagne. » Lui a la passion des alpages, du bétail et du fromage chevillée au corps. Ne peut faire du fromage que s’il sait « comment s’est passée la journée, ce que les vaches ont mangé… Le fromage, c’est vivant, et je ne conçois pas d’en fabriquer sans être en contact avec les animaux. » Et de conclure : « Etrangement, ici, je me sens moins seul qu’à Paris ».
Adresse : La Petite Vacherie, Le Haut-Bréda (Savoie)
Instagram : @orel_casein