« C’est l’endroit où tout est devenu possible. » A ceux qui associent piscine et affreux pédiluve, la phrase peut paraître exagérée. Pourtant, à écouter Clara parler « d’émancipation par l’eau », la piscine l’a libérée. Elle et son envie d’écrire. « C’est un espace coupé du monde où l’on est libre et où l’on s’appartient totalement », ajoute-t-elle. Une déclaration d’amour qu’elle clame sur son Instagram où elle campe @Nageuseparisienne, une chouette grenouille droguée au chlore et passionnée d’architecture de bassins comme de maillots de bain. « Pour moi, c’est une ressource d’histoires infinie. Un accès sans limite à l’intimité des gens et des corps. Ensuite, mon imagination prend le relais. » Le 30 janvier, aux côtés de deux autres autrices, et après trois semaines de résidence « addictive », dit-elle, à la piscine Georges-Hermant (Paris 19e), elle prend la parole dans un bassin vide. Des spectateurs sont venus l’écouter, elle, ses camarades et la Fanfare détournée. Un dispositif monté à la faveur de la vidange annuelle. Et grâce à la perspicacité de sa directrice, Alizée Guyaux, qui a « compris qu’une piscine est bien plus qu’un endroit où tu nages », confie-t-elle.
Colombe et Marine Schneck, Pierre Assouline, Chantal Thomas… Nombreux sont ceux à avoir écrit leur amour des lignes de nage et l’inspiration créative qu’ils y venaient chercher. Coline Pierré et Zoé Besmond de Senneville ont participé à la résidence d’écriture. La première, auteure de fiction jeunesse, la seconde, qui a raconté sa perte d’audition, ont fantasmé ce temps d’écriture en piscine, vivier de possibilités où l’on respire, coupé du monde. « Comment introduire les mots et la parole dans un endroit où le corps prend supposément toute la place ? », demande Zoé. L’auteure du Journal de mes oreilles (Flammarion, 2021) rêve d’interviewer les apnéistes ou ces jeunes femmes qu’elle a observées durant leurs cours de natation synchronisée.

A la question « où est la poésie dans ces situations si banales ? », les deux auteures s’offusquent presque : « Il y a tant de moments étranges ! Un homme qui marche à reculons avec ses palmes », dit l’une. « Les regards dans la zone de déchaussage ou le moment de la douche, lorsqu’on se répète qu’il n’y a qu’ici que l’on se met quasi à nu à côté d’inconnus », répond l’autre. Suffit de porter les bonnes lunettes pour qu’une situation devienne quasi lyrique.
La directrice du bassin Georges-Hermant raffole des transformations possibles de l’usage d’une piscine, « plus c’est décalé, plus j’adore ». Depuis qu’elle a vu cette fanfare se produire dans son bassin Olympique, les idées fusent pour la prochaine fois.
Pourquoi pas un défilé ? Après tout, en 1987, le créateur japonais Issey Miyake avait bien défilé à la piscine de Pontoise (5e). En juillet 2000, Chanel investissait la piscine Keller (15e). Jacquemus faisait l’une de ses premières apparitions en juillet 2013 à la piscine de la Cour des lions (11e). « On ne peut pas être insensible au graphisme d’une piscine », abonde l’Hannutois Rémi Dejonghe. Le dessinateur de BD belge a longtemps cherché un lieu pour rassembler son collectif en vue d’écrire un fanzine avant de tomber sur la piscine désaffectée d’Hannut. Même quand le lieu ne vit plus, il garde en lui ses souvenirs. « Beaucoup de voisins durant notre résidence nous racontaient des anecdotes sur leurs maîtres nageurs ou les odeurs de chlore qu’ils percevaient encore. » Un vivier d’idées pour des sujets d’écriture.
Selon Céline Vacher, cheffe du service Art et Territoires à la mairie de Vitry (94), ces bassins sont de vrais « lieux patrimoniaux ». En 2022, elle a organisé « La Belle Piscine » dans le bassin du 8-mai-1945. Les artistes étaient invités à investir ses vestiaires. Parmi eux, la plasticienne Taline Zabounian a eu l’impression de pousser la porte « d’une vieille bâtisse habitée, belle et brute, un voyage dans le temps ». Céline Vacher en est certaine, « on a tous une histoire avec une piscine municipale ».


Photo d’ouverture : Balance, DEEP, 2020.