« C’est une hérésie de produire comme je le fais. à la commande, en si petites quantités », annonce Julie Charvet Robinne. Elle en rit. Car la fondatrice de L’Envers, label de maille éthique, a pris le parti de tout concevoir à rebrousse-poil de l’industrie de la mode. Avec ses gilets réconfortants à larges mailles, ses pulls d’antan aux détails d’aujourd’hui, ses robes épurées aux lignes droites, la créatrice « vise l’intemporalité et la qualité pour créer des armures du quotidien dans lesquelles les femmes se sentent belles ». Mais dont l’envers du décor n’aurait rien à cacher ni à envier à l’endroit.
Passée par Paris, Londres, Madrid, et après des années de marketing chez Habitat, cette descendante d’une famille de textile du Nord de la France s’apprête à rejoindre les équipes d’une marque de prêt-à-porter lorsque, nourrie de lectures et de documentaires sur la fast fashion, comme The True Cost d’Andrew Morgan en 2015, une prise de conscience sur les dérives du secteur la frappe de plein fouet. Cette année-là, elle choisit de lancer sa marque. Une marque capable de redonner la parole aux artisans de la maille, gardiens d’un savoir-faire ancestral, capable de les célébrer et de dépoussiérer le « pull en laine qui gratte ».
Installée dans les montagnes de la Sierra, toutes proches de la capitale espagnole, elle construit une communication ancrée dans son époque et réalise l’essentiel de ses ventes en ligne. Ce qui avait commencé par un troc de vaisselle et de robes en lin avec « des femmes créatives aux valeurs proches des [siennes], dont les communautés virtuelles sont engagées » se transforme en collaboration. Des pulls adoptent les teintes des assiettes de la céramiste parisienne Marion Graux : elle a réalisé un gilet à quatre mains avec le label californien Pyne & Smith de Joanna McCartney… Ses associations lui ouvrent les portes des marchés américain ou allemand, mais la confection reste locale.
« Chaque pull nécessite environ 600 g de laine mérinos et quatre heures de travail »
Ses créations sont en coton bio, mohair, et surtout en mérinos naturel, issu du mouton espagnol historique. Filée, puis teintée près de Barcelone, la laine arrive à l’atelier en cônes de 1 ou 2 kg prêts à être tricotés sur mesure pour chacune des 3 000 pièces vendues chaque année. Une à une, ces dernières sortent de l’atelier trois semaines après la commande, le temps long consacré à sa confection : « Chaque pull nécessite environ 600 g de laine mérinos et quatre heures de travail, de la programmation de la machine rectiligne au repassage en passant par le montage et le lavage. Avec la technique du fully fashioned, chaque panneau est tricoté individuellement avant d’être assemblé, ça permet d’éliminer les chutes. » Les fonds de cônes sont ensuite upcyclés en pochettes pour les peignes à laine, ou réinventés, comme ces poches à mi-chemin entre la broderie et la tapisserie, faites à la main par la designer textile Julie Robert, qui ornent l’édition limitée d’un gilet.
Des liens solides
Julie Charvet Robinne travaille main dans la main avec le petit atelier de Miguel Angel Sanchez, sa femme et ses parents, à Béjar, près de Salamanque, ville désormais endormie de l’ancienne Ruta Textil (la Route du textile) espagnole. « Nous les fidélisons et surtout nous grandissons ensemble, ce qui nous permet de tisser des liens solides et de travailler sans quantité minimum, en soignant les moindres détails », explique-t-elle. La qualité des boutonnières ne la satisfait pas ? Elle lance en 2019 une campagne de crowdfunding, lève 10 000 euros pour permettre à l’atelier familial d’acquérir une machine plus moderne.
« Aujourd’hui, je les aide à financer une machine de remaillage pour produire nos grosses mailles emblématiques, via une avance sur trésorerie à taux zéro. » Mais, ajoute-t-elle, « nous sommes aussi là quand ça ne va pas, c’est toute la beauté et la fragilité de L’Envers. » En mars, l’atelier a arrêté les machines lorsque la mère de Michel Angel, Marcelina, est tombée malade. Pendant quinze jours, l’e-shop a baissé rideau et la situation expliquée aux clientes.
Mais comment « trouver un modèle durable financièrement tout en ne poussant pas à la consommation ?, se demande Julie Charvet Robinne. Comment grandir sans se trahir ? » C’est toute la difficulté d’une marque responsable. L’heure est à la réflexion stratégique. Pour faire rayonner son modèle de fabrication européenne et développer son écosystème, la créatrice a récemment signé une collection capsule pour La Redoute. Elle confie avoir troqué sa « pudeur pour plus d’ambition », elle a pourtant un garde-fou : « Suivre [son] intuition ».
Adresse : showroom L’Envers, Calle del Pez 27, piso 3, Oficina 316, Madrid, Espagne.
Horaires : sur rendez-vous, tous les mardis et jeudis, de 10 heures à 18 heures.
Instagram : @lenvers_fashion
Site web : lenversfashion.com