Le Woodstock de l’oignon

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Tout roses, tout ronds, tout doux… Au même titre que les citrons,
les oignons de Menton sont en passe de devenir la mascotte de la ville. Cette variété ancienne, remise à l’honneur par des artisans semenciers, est le symbole des luttes de l’agroécologie pour la diversité et se fête.

Chaque année, à la fin février, Menton se pare de ses attributs jaune citron. Une façon de célébrer le fruit qui fait sa célébrité depuis 1934. Mais en ce dimanche de juillet à la chaleur écrasante, c’est une vague rose qui déferle sur la ville. La Fête de l’oignon rose, une variété locale moins connue en passe de devenir « une mascotte », précise Maxime Schmitt, coprésident de la Maison des semences paysannes maralpines (MSPM). Depuis 2018, son association protège la biodiversité dans les Alpes-Maritimes. Regroupant paysans, artisans semenciers, jardiniers, chefs cuisiniers, distributeurs en circuits courts ou amapiens, et portée par l’association SOL (Alternatives agroécologiques et solidaires), la MSPM milite pour des alternatives agroécologiques et solidaires et lutte contre l’accaparement du vivant par des grands groupes privés. Dans son argumentaire, un rapport de 2019 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) alertait sur la disparition d’une large partie de la biodiversité alimentaire. Selon les experts onusiens, 75 % de la diversité génétique présente dans l’agriculture a disparu au cours du xxe siècle, menaçant notre alimentation, notre santé mais aussi notre environnement.

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De gauche à droite, l’arrivée des oignons roses sur les étals du marché des producteurs; Maxime Schmiitt, coprésident de la Maison des semences paysannes maralpines

« C’est par la semence que tout commence, et paradoxalement elle reste le dernier des sujets abordés quand on parle écologie et alimentation. Dans la conscience populaire, on pense emballage, saisonnalité, mais on ne se demande pas si, en achetant un produit, on achète une variété qui soutient l’agriculture paysanne ou une semence brevetée par un grand groupe semencier, déplore Maxime Schmitt avant d’ajouter : Aujourd’hui, c’est plus la main dans la terre que le poing en l’air que l’on souhaite militer. »

Concrètement, les graines paysannes ont été semées, sélectionnées et multipliées par l’agriculteur. Avant l’émergence, au xixe siècle, de l’industrialisation de l’agriculture et de ses semences certifiées, conduisant à la constitution de « variétés » qui sont aux plantes ce que les « races » sont aux animaux. Contrairement aux semences de l’agro-industrie, les graines oubliées sont par essence très diverses et donc adaptables. En cas de sécheresse, les plants les plus résistants seront conservés et leurs graines semées à nouveau. « Il y a un contexte culinaire et climatique très particulier qui fait que les Alpes-Maritimes est le département qui subit le plus le réchauffement en France ces dernières années. Travailler sur les semences paysannes, c’est se préparer de manière très locale à préserver une identité culinaire, mais aussi aborder tous ces problèmes écologiques », assure Clotilde Bato, directrice générale de l’association SOL.

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De gauche à droite, le concours du jour : trouver le poids du bulbe vedette; l’oignon rose, mascotte de la journée

Ecosystème vertueux

C’est peut-être ce qui confère à l’oignon rose de Menton ce parfait storytelling. Avant d’être sublimé ce jour-là par Nadia Sammut, cheffe étoilée de l’auberge La Fenière, dans le Luberon, ce bulbe raconte l’histoire paysanne de cette biorégion située entre le sud-est de la France et le nord-ouest de l’Italie. « On est allé dans tous les petits villages à la rencontre des anciens afin de savoir s’il leur restait encore des graines de ces variétés locales qui avaient disparu de nos marchés », raconte Clotilde Bato. C’est ainsi qu’un matin Nicole Lottier voit arriver en bas de son jardin Maxime Schmitt et d’autres membres de la MSPM. « Mon grand-père maternel cultivait les oignons roses dans son jardin de Castellar [commune située à 5 km au nord de Menton, ndlr]. Il en a donné à mon père quand il a épousé ma mère, et nous les avons toujours cultivés. J’ai grandi avec, je les mangeais crus comme une pomme. » Un agriculteur de Contes, dans les Alpes-Maritimes, récupère quelques-unes de ces semences et les mets en terre, replaçant la spécialité locale au cœur d’un écosystème vertueux. « L’objectif n’est pas juste de compiler ces spécialités. Nous travaillons avec deux chercheuses pour rendre ces semences plus productives, comprendre pourquoi les maraîchers ont à un moment donné arrêté de les utiliser, qu’en pensent les chefs de leur goût et de leur aspect, explique Clotilde Bato. Rester dans le cercle fermé des agriculteurs, c’est risquer de se couper des réalités. »

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De gauche à droite, burgers à l’oignon rose de Menton frit par les deux cuisiniers de chez Chef.fe.s; Tatin d’oignon rose et barbajuans (spécialités du coin revisités)

Penser de la fourche à la fourchette, tel est le mantra de la MSPM, qui a sauvé une cinquantaine de variétés locales (voir encadré). Mais cela prend du temps car, pour valoriser un produit, c’est toute une chaîne d’acteurs qui doit jouer le jeu : des étals des marchés jusque dans nos assiettes. Avec un terroir puissant, une grosse concentration en tables étoilées, mais aussi l’effervescence d’une nouvelle scène culinaire plus consciente, la région niçoise devient l’endroit parfait pour valoriser ces variétés oubliées d’oignon rose. Grâce au travail de la MSPM, on les retrouve à la vente chez 21 Paysans, le bistrot et primeur engagé d’Elliott Mercier (coprésident du collectif). Mais aussi dans le potager de Mirazur, le restaurant étoilé du chef Mauro Colagreco installé sur les hauteurs de Menton, dans les mets de Victor Brandi, « artisan cuisinier itinérant » arrivé du Brésil qui a lancé Chef·fe·s sur TMC avec sa compagne Camille Berto. « Il y a quelque chose de très fort dans l’identité culinaire niçoise. Cette histoire de biodiversité cultivée rejoint une approche plus holistique de l’alimentation aujourd’hui qui nous rappelle combien manger est un acte intime et puissant. » Politique aussi.

Le jour de la Fête de l’oignon rose, sur l’esplanade Francis-Palmero à Menton, on parlait aussi du manifeste, cette déclaration participative censée rendre cette variété inappropriable par l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) et impossible à breveter par l’industrie. Pour que l’oignon rose reste un « commun », une graine qui nous nourrisse.

GRAINES OUBLIÉES 

Depuis sa création en 2018, la MSPM a préservé une cinquantaine de variétés locales, récupérées, multipliées et diffusées dans la région. Parmi elles, la fève violette de Saint-Laurent-du-Var, la courge longue de Nice, la mascarade de Breil-sur-Roya, le chou-brocoli de Nice, un brocoli de la taille d’un chou-fleur structuré comme un romanesco, la courge de Moulinet à partir de laquelle est préparée la pissare, une spécialité de cette petite commune au nord de Menton, une tourte à base de courge salée et râpée. Les gens du coin assurent que les meilleures courges sont plantées dans les potagers moulinois et arrosées à l’eau de la Bévéra (rivière franco-italienne) ou du vallon de Peïra-Cava.

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