C’est la fin d'un cycle pour Katrín Jakobsdóttir. L’ex-Première ministre islandaise qui a tenté de décrocher la présidence de son pays abandonne la vie politique tout en laissant un bilan flatteur derrière elle. Depuis sa soutenance de thèse en 2005 sur le maître du polar Arnaldur Indridason, elle a connu une trajectoire hors du commun.
Comme Birgitte Nyborg, héroïne de la série danoise Borgen, elle est mère de famille et a la jeune quarantaine lorsqu’elle prend la tête du gouvernement. Comme elle, elle est choisie pour sortir le parlement de l’ornière, trois de ses prédécesseurs ayant été contraints à la démission. Elle se destine à une carrière littéraire, mais se distingue par son engagement au sein du Mouvement des Verts et de gauche.
En janvier 2009, le poste de ministre de l’Education lui est proposé. Mais la crise financière, la « Révolution des casseroles », la condamnation des banquiers, un ministre éclaboussé par les Panama Papers ainsi que quatre élections en huit ans, ont épuisé les Islandais.
Le système politique doit trouver un nouveau souffle. Et contre toute attente, c’est elle qui va l’offrir à son pays.
Son parti arrive en deuxième position aux élections anticipées du 28 octobre 2017. Mais le paysage politique est éclaté, une coalition s’impose. Pragmatique, elle annonce la couleur : de coalition, il ne peut être question que si elle en prend les rênes ! Après un mois de négociations et quelques concessions, la voilà à la tête d’un gouvernement gauche-droite, ovni politique qui, grâce à ses talents de conciliatrice, sera même reconduit en 2021.
Les Islandais découvrent un nouveau mode de gouvernance qui leur plaît. « A ses débuts, les parlementaires étaient surpris de la voir venir à vélo, alors qu’ici, tout le monde a au moins deux, voire trois voitures ! », décrit Lionel Cordier, chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris et auteur d’une thèse sur la crise démocratique islandaise. « Elle a su conserver son image d’écologiste tout au long de ses mandats. » Et ce, grâce à une exigence fixée dès les premières négociations : que son pays atteigne la neutralité carbone d’ici à 2040. On lui reconnaît un talent pour gérer les crises, que ce soit la pandémie de Covid-19 ou une éruption volcanique, courant sur l’île de 382 000 habitants. Et surtout, elle se tient loin de toute guerre des ego, ce qui a certainement assuré sa longévité dans le contexte politique local.
Une économie du bien-être
Durant ses sept années à la tête du pays, aucune licence d’exploitation pétrolière n’a été accordée dans les eaux islandaises. Elle a aussi orienté son pays vers ce qu’elle nomme « une économie du bien-être », en développant des indicateurs complémentaires à ceux du PIB et de la croissance économique, afin de s’assurer que la population vit bien. Dans ce but, elle a prolongé le congé parental à douze mois mais aussi, en octobre dernier, a rejoint la grève des femmes de son pays, en manifestant contre les inégalités salariales et les violences faites aux femmes. Katrín Jakobsdóttir pressentait-elle un essoufflement de sa coalition ? « Les écologistes commençaient à se sentir en position de faiblesse depuis ce deuxième mandat, estime Lionel Cordier. C’est peut-être ce qui l’a conduite à tenter la présidence. » Un choix qui laisse le chercheur dubitatif, tant le rôle d’un ou d’une présidente est éloigné de l’action politique. En règle générale, les présidents et présidentes de l’Islande ne sont pas issus de la classe politique mais sont philosophe, chercheur, entrepreneur… « Elle a peut-être cru pouvoir bénéficier de son image de transparence et d’écoute des besoins des citoyens », imagine le chercheur. Après avoir caracolé en tête des sondages, la Première ministre démissionnaire a finalement été dépassée, contre toute attente, par Halla Tómasdóttir, femme d’affaires de 55 ans connue pour son engagement dans l’égalité femmes-hommes.
Katrín Jakobsdóttir, qui vient de publier son premier roman policier (1) avec Ragnar Jónasson, va enfin pouvoir se consacrer à sa carrière littéraire.
(1) Reykjavik, 2023, 448 pages, éditions de La Martinière.