À conflans-sainte-honorine, petite ville paisible des Yvelines, le studio Fritsch-Durisotti borde la Seine. Il y a quelques années, Antoine Fritsch et ses associés ont quitté leurs bureaux parisiens : « Nos clients adorent venir ici. Nous prenons davantage le temps d’échanger et de réfléchir à leurs projets dans notre laboratoire créatif. » Des marques leaders sollicitent le studio pour le design de masques de randonnée palmée Easybreath, de kayaks gonflables Decathlon, d’enceintes de méditation Morphée ou de meubles Roche Bobois. Ralentir est dans l’ADN du studio. Depuis sa création, il y a trente ans, les designers se réservent des temps d’expérimentation, affranchis des contraintes du marché, ce sont leurs « expressions libres ». « Elles nous aident à partager notre vision positive du futur, à anticiper les attentes émergentes de notre monde en mouvement », explique Antoine Fritsch. Ces temps d’expressions libres nécessitent de ralentir le rythme, discipline et luxe salvateurs. Leurs recherches portent sur la mobilité douce et les matériaux vertueux. Si leurs créations n’ont pas de destinataires, certaines voient le jour, comme le vélo en bambou développé pour Hermès en 1994. Après avoir vu leurs pistes créatives, la marque leur commande ce vélo révolutionnaire, conçu en matériaux naturels. Un modèle qui forgera l’identité du studio.
Le véhicule de demain sera partagé et collectif. Modulable, il pourra devenir un lieu de vie et de services
Triporteur avec selle en liège (photo), trottinettes, kayaks, voiliers : le studio est rompu à l’exercice, avec la conviction qu’une mobilité douce à l’impact écologique quasi nul est une évidence. Si le vélo est leur domaine de prédilection et la voiture en ville une hérésie, ils réfléchissent à la façon de la réinventer. « Il faut quitter la notion de propriété, partager les ressources est le gros changement à opérer dans ce domaine, assure Antoine Frisch, la voiture de demain est partagée et collective. » Le designer prône un véhicule autonome, modulable et sans émissions, qui pourrait devenir un lieu de vie et de services. On pourrait y échanger, y travailler, regarder le paysage, répondre à nos différents besoins. « Cette perspective ouvre le champ des possibles ! » Le projet d’expression libre baptisé « SoOn », il y a quinze ans, portait déjà les prémices de ce véhicule modulable équipé d’une pile à combustible. Grâce à la dissociation de l’habitacle et du châssis, il offre différents scénarios à ses usagers : vacances, déménagement, trajet en ville ou en groupe, le véhicule passe d’une configuration berline à un utilitaire léger ou une citadine. Malin.
Nouvelles perspectives du voyage
Si la mobilité douce est l’avenir des transports, elle impose de ne pas se déplacer très loin. Le voyage est-il remis en cause ? Pour Antoine Frisch, aller à l’autre bout de la planète pour ses vacances n’est plus envisageable. Lui a arrêté de prendre l’avion. « Le voyage doit se faire à proximité avec des moyens d’accès multimodal, l’aventure peut être proche de chez soi », assure-t-il. Et d’ajouter : « Mais il faut accepter de se donner du temps. La vitesse a été une quête pendant cent ans, nous avons été drogués à ce désir de rapidité et de performance pourtant génératrices d’une consommation forte. » Pour faire évoluer nos habitudes, le studio mise sur des lieux qui font rêver, plutôt que sur des produits. « Nous devons imaginer des expériences globales qui allient plaisir et frugalité. » Ils réfléchissent à un projet baptisé « Vivre l’eau », ou comment valoriser les villes traversées par des fleuves. Ils ont imaginé des architectures flottantes : marchés sur l’eau, lieux de partage, espaces festifs. Le voilier ou le kayak prennent ici tout leur sens.
Les petites maisons itinérantes, autonomes et immersives représentent une piste prometteuse. Leur modèle d’habitat nomade « Ozento » prend la forme d’un loft panoramique posé en pleine nature. Son installation réversible à tout moment restitue ainsi un site vierge. Ces petites habitations en acier, bois et verre recyclables, sont autonomes en eau, électricité, en traitements des affluents et en accès aux réseaux de communication. « Il y a encore beaucoup d’astuces à trouver pour améliorer ces micro-habitations nomades. A l’heure du télétravail et de la mobilité, c’est un formidable terrain de jeu pour nous, les designers. » L’idée de se rendre en kayak dans un espace préservé en pleine nature, de s’installer dans une petite maison fonctionnelle et autonome au design soigné, est une alternative séduisante qui convoque notre imaginaire. « Nous nous considérons comme des designers de vie. Notre mission est d’imaginer un monde certes plus frugal, mais tout aussi réjouissant. Nous allons redécouvrir un mode de vie plus épanouissant, basé sur le bien-être et le partage. »
Site web : fritsch-durisotti.com