Cette année-là, Joséphine Baker entrait au Panthéon, Tokyo accueillait les Jeux Olympiques, la France ouvrait la vaccination aux adultes et Donald Trump était banni de Twitter et Facebook, les deux plus grandes plateformes sociales de l’époque. Quatre ans plus tard, Twitter, devenu X suite au rachat d’Elon Musk, semble entièrement favorable au président américain réélu Donald Trump. Et, retournement spectaculaire, Mark Zuckerberg, à la tête de Meta, qui possède Instagram et Facebook, vient d’annoncer la suppression de ses équipes de fact-checking. « On assiste à une onde de choc, estime Alexis Pichard (1), avec une forme de masculinisme décomplexé. » Ce changement s’explique, selon le chercheur, en partie par le fait que ces réseaux sociaux souhaitent obtenir l’appui de Donald Trump à des fins commerciales, notamment face à l’Europe qui impose des réglementations strictes. « Ils ont besoin de lui pour faire pression », ajoute le chercheur.
Une influence réciproque
La dépendance est devenue mutuelle. Mais elle remonte à une autre époque. Lorsque Trump était « juste » un entrepreneur aux yeux du monde. Il faut même remonter avant sa notoriété médiatique pour comprendre son évolution et les liens tissés avec médias et réseaux sociaux. Lorsqu’il se lance dans l’immobilier, son père l’épaule en lui offrant un demi-milliard de dollars. « Mais il a toujours eu un rapport très problématique à la réalité dès lors qu’elle le concerne, estime Alexis Pichard. Il faut se rappeler qu’il a fait faillite à au moins six reprises dans les années 1980 et 1990. Pourtant, il a toujours eu à cœur de se construire un récit mythologique le présentant comme un homme d’affaires autodidacte et prospère. » Ni l’un, ni l’autre ne sont vrais. Mais il a toujours contesté les critiques. « C’est lui qui a conceptualisé l’idée d’hyperbole véridique dans son livre The Art of the Deal : il estime qu’on a le droit d’exagérer un peu pour embellir sa vie », rappelle le chercheur.
L’ascension médiatique de Trump
Et romancer, Trump sait faire. Après ses échecs, il a reconstruit son mythe personnel en s’appuyant sur les séries populaires. On l’a ainsi vu interpréter son propre rôle dans Une nounou d’enfer, Le prince de Bel-Air, Sex and the City… Un moyen, pour lui, de marteler l’image d’un multimillionnaire à qui tout réussit. « Le point culminant sera bien sûr The Apprentice, une émission extrêmement populaire suivie par près de 20 millions de téléspectateurs, qui martèle pendant une dizaine d’années que Donald Trump est un entrepreneur brillant à qui tout réussit », décrypte Alexis Pichard. C’est sur cette mythologie que Donald Trump s’est appuyé pour se lancer en politique.
“X va être le réseau des complotistes, Bluesky celui de ceux qui ont à cœur le progrès social”
De Twitter à X : l’évolution de la communication politique
Un lancement qui intervient durant le deuxième mandat de Barack Obama, et que l’on voit justement prendre forme sur le réseau social Twitter. Alors qu’il l’utilisait jusque-là pour sa promotion, Twitter devient le support de sa politisation. Et son côté populiste s’exacerbe au contact des réactions de ses abonnés, aboutissant à la matérialisation de sa candidature, autour de 2015. Son premier mandat sera d’ailleurs celui de la « présidence Twitter » : « il a dicté le rythme de la vie politique par ce canal, et a influencé les médias » relate le chercheur. Une position qu’il perd lorsqu’il est banni, au moment de l’attaque du Capitole en janvier 2021. Trump a cru pouvoir créer son propre réseau avec Truth Social, mais l’expérience s’est avérée décevante. Et si l’on a pu croire à ce moment-là qu’une régulation existait sur les réseaux sociaux, elle a volé en éclats avec le rachat de Twitter, devenu X, par Elon Musk.
Lors de la campagne 2024, Donald Trump a approché puis convaincu le magnat de la tech de le soutenir. Ce rapprochement, outre le fait qu’il ait permis à Trump de collecter plus de 250 millions de dollars de la part de Musk, a eu une autre conséquence : l’emballement des autres magnats pour le président réélu. Dans le rang des suiveurs, Mark Zuckerberg a suivi dès les résultats connus, changeant de cap pour séduire Trump. Et, fait plus surprenant, celui qui souhaitait bannir TikTok des États-Unis a choisi, parmi ses premières actions, de réhabiliter le réseau social des jeunes. Là encore, les raisons sont purement économiques, selon Alexis Pichard. « Trump considérait TikTok comme un outil de surveillance massive mis en place par les Chinois. La loi passée pour bannir ce réseau a même été votée de manière bipartisane au Congrès. Mais entre-temps, il a fait la connaissance de Jeff Yass, un homme d’affaires américain qui a notamment investi dans ByteDance, la maison mère de TikTok. Cet homme lui a donné beaucoup d’argent durant sa campagne électorale, ce qui l’a quelque peu fait changer d’avis… À cela, il faut ajouter que TikTok est le média des jeunes, et il a eu l’ambition de les conquérir durant cette campagne. »
Des alternatives voient-elles le jour ? Le nouveau réseau social Bluesky semble en être une. Mais avec le risque d’une polarisation, prévient Alexis Pichard : « X va être le réseau des complotistes, Bluesky celui de ceux qui ont à cœur le progrès social. Ces deux entités ne vont plus se croiser, et c’est extrêmement dommageable pour la démocratie, puisqu’elle est basée sur le fondement du débat. Si chacun est dans sa chambre d’écho, il n’y en a plus. Cette fracture est en train d’arriver en France. Maintenant, il faut espérer que l’Europe parvienne à faire face. »
(1) *Auteur de Trump et le médias, l’illusion d’une guerre ? VA Éditions, 29 euros.