Des livres qui cartonnent

« La lecture permet de planter des graines dans des foyers, ça donne espoir »

Alicia Cuerva

« La lecture permet de planter des graines dans des foyers, ça donne espoir »

En s’inspirant des cartoneras argentines, Alicia Cuerva édite à Clermont-Ferrand des livres uniques dont les couvertures, créées à la main, proviennent de cartons recyclés.

A quelques pas de la cathédrale de Clermont-Ferrand, dans une ruelle aux bâtiments hauts, un petit atelier se laisse deviner derrière les quelques livres de sa vitrine. Ici, il n’y a qu’une seule pièce et des étagères débordantes de papiers et de cartons. Aux murs, les objets rappellent l’Amérique latine, sur une musique aux sonorités indigènes brésiliennes, un faux toucan semble chercher son envol. Ce mercredi de février, Alicia Cuerva remonte ses petites lunettes rondes sur son nez et secoue ses mains. D’un geste précis, la trentenaire assemble et peint des morceaux de carton au format A5. Elle dispose les pages d’un album entre deux cartons prédécoupés, puis les relie avec du fil de tissu coloré récupéré. L’exercice à répétition peut être douloureux. Mais après de longues heures de travail, un livre naît de ces vieux cartons.

L’idée lui est venue de ses voyages en Amérique latine durant lesquels elle a découvert les cartoneras. Un mouvement de maisons d’édition né en Argentine en 2003 en réponse à la crise et au manque de matière première. Ces éditeurs se servaient alors de cartons usagés pour en faire des couvertures de livres et faire entrer la lecture dans les quartiers populaires. Pour Cette ex-étudiante en langues passionnée d’artisanat, d’illustrations, de littérature, c’est une révélation. Là-bas, elle se forme à cette pratique. En 2016, elle arrête ses études, lance Cosette Cartonera, sa maison d’édition, et débarrasse les rues et les commerces de la capitale du Puy-de-Dôme de tous leurs cartons. Elle découvre une imprimerie à 750 m de son atelier et vend ses petites productions sur sa boutique en ligne, dans des librairies et lors de festivals.

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Une à deux nouvelles par an

« L’idée était aussi de retrouver une échelle humaine et raisonnée dans la production de livres, raconte-t-elle. Quand on assemble à la main, que l’on dessine la couverture, forcément, on ne peut pas sortir 100 bouquins en une semaine. » Cosette Cartonera publie une ou deux nouvelles histoires par an, à 300 ou 500 exemplaires chacune, leur production s’étalant parfois sur des années. Pas question, pour elle, « de surproduire pour que les livres finissent à la poubelle ». Les siens valent 15 € environ. Aussi, pour vivre et trouver un équilibre financier, Alicia Cuerva donne des cours de reliure dans son atelier ou dans des établissements scolaires. Elle attrape quelques planches de dessins à l’aquarelle qu’elle vient de terminer. C’est l’histoire d’un petit hérisson à lunettes qui raconte comment un défaut peut devenir une belle particularité. Elle l’a écrite en s’inspirant de son enfance. Depuis 2019, elle se consacre à la littérature jeunesse. « Je crois que je suis toujours une enfant, ça se sent dans mes illustrations, et je me suis rendu compte que la littérature pour les enfants m’intéressait particulièrement. »

Engagée pour le climat

La collection d'Alicia lui permet de transmettre ses valeurs et surtout son engagement pour l’environnement aux enfants de 3 à 12 ans. Erosion des sols, déforestation, disparition d’espèces… Aucune urgence climatique n’échappe à Cosette Cartonera et ses auteurs. L’éditrice veut éviter les discours « punitifs ou fatalistes » pour « faire émerger des idées », convaincue qu’« avec leur imagination et leur optimisme, les enfants trouveront les solutions ». Et d’ajouter : « La lecture permet de planter des graines dans des foyers, ça donne espoir. »

Contrairement aux trois mois d’espérance de vie pour un livre en maison d’édition classique, ses ouvrages sont créés pour durer. Pensés comme des objets, ils invitent à trouver la beauté ailleurs. Par exemple, dans le toucher rugueux du carton travaillé brut, qui tranche avec les couvertures brillantes à la fine pellicule plastique de ceux des librairies, ou dans leurs couvertures peintes une à une à la main. Comme une façon de dire, insiste Alicia Cuerva, « ce livre est unique, la couverture de cette couleur ou cette reliure, il n’y en a pas deux, et il est fragile, alors il faut en prendre soin, comme de la planète. » 

Adresse : 6, rue Massillon, Clermont-Ferrand (63).

Site web : cosettecartonera.com

Des éditions écoresponsables

La Marge, à Angers, fabrique des livres en carton un par un. Les éditions La Mer salée et La Cabane bleue utilisent de l’encre végétale, impriment localement en petite quantité, et retirent le pelliculage en plastique de leurs publications. Depuis 2019, l’association. Pour une écologie du livre réunit éditeurs, auteurs et libraires pour prendre en compte l’impact environnemental de cette industrie. Chaque année, 60 millions de livres sont  détruits en France, soit 13 % de la production totale, selon le dernier rapport du Syndicat national de l’édition. 

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