Ils ont joué dans toute la france, caché des amants, habillé des comtesses, accueilli des corps fatigués. Ils ont assisté aux larmes, aux rires, aux pertes de mémoire, aux portes qui claquent, ils ont été sur le devant de la scène. Jusqu’à ce que le rideau tombe. Châssis en bois, fauteuils, rouleaux de tissus, herbes en plastique, tout ce matériel qui a un jour servi de décor à une pièce de théâtre ou à un spectacle de danse se retrouve aujourd’hui classé et entreposé dans la nef de la Ressourcerie, une pièce tout en longueur, séparée par une porte coupe-feu de la salle de spectacle du Théâtre de l’Aquarium. C’est ici au milieu des planches et des plaques de Plexiglas que Lionel González, metteur en scène, a trouvé de quoi « sauver son spectacle ».
« Lorsque nous avons repris le lieu, raconte Jeanne Candel, directrice artistique du théâtre, nous avons hérité d’une montagne de décors accumulés par les précédents propriétaires et d’un grand espace de stockage : l’idée de la Ressourcerie s’est imposée tout de suite. » Depuis 2019, la Ressourcerie récupère les décors qui seraient partis à la poubelle. C’est-à-dire beaucoup, puisqu’il est souvent moins coûteux pour les compagnies de les racheter neufs que de les stocker avant de rejouer. Ainsi, grâce à la Ressourcerie, une cabane en bois qui a joué dans Le Triomphe de l’amour au Théâtre des Bouffes du Nord, reprendra vie dans Hanami, les amours perdues, une pièce de la compagnie ardéchoise Théâtre Pôle Nord.
Lionel González se souvient : « Je voulais un décor qui puisse recréer l’ambiance si particulière de la scène du Théâtre Gérard Philippe (TGP). C’est là que je me suis rendu compte que ça allait coûter très cher. » Alors quand trois ans plus tard le metteur en scène se retrouve dans l’impasse, Jeanne Candel lui ouvre les portes de ses décors en attente. A l’époque, sa pièce La Nuit sera blanche jouée au TGP, à Saint-Denis, doit partir en tournée.
En septembre, la troupe passe par le théâtre de l’Aquarium et y reste en résidence pour mettre au point une nouvelle scénographie. Pendant deux semaines, ils expérimentent, font des allers-retours entre le plateau et la réserve. D’abord, ils imaginent une caisse géante capable de reproduire le plafond bas de la salle du TGP, se rendent compte que cela ne fonctionne pas, « la boîte étriquait l’imaginaire », raconte le metteur en scène. Ils cherchent encore, scient, vissent, poncent, peignent les matériaux de seconde main à l’atelier de l’autre côté de la salle. « C’est rare dans l’architecture des théâtres, d’avoir l’atelier collé à la scène. Cela permet de tester des idées en conditions réelles. Comme un travail d’artisanat », note Jeanne Candel, également actrice dans La Nuit sera blanche. Finalement la compagnie de Lionel González met la main sur de grands panneaux qui avaient officié dans Tarquin – une pièce de Jeanne Candel, jouée en 2019 au Nouveau Théâtre de Montreuil – et qui imitent parfaitement le beige patiné des murs du TGP. De vieux tuyaux entreposés là reproduiront les canalisations apparentes du théâtre dionysien. Ou comment économiser quelque
30 000 euros de décors et redonner une chance à des matériaux prêts à mourir sur scène.
EFFET DE SCÈNE
La Ressourcerie de l’Aquarium a collecté 4 tonnes de matériaux artistiques destinés à la poubelle, entre 2019 et 2023.
La Réserve des arts, une ressourcerie installée à Pantin, en a récupéré 700 tonnes, l’année dernière.
Selon un rapport du think tank The Shift Project, rallonger la durée de vie du matériel scénique diminuerait de 2 % les émissions de gaz à effet de serre des salles de spectacle.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.