Dans l’imaginaire collectif, quand il est question de l’empreinte carbone de l’industrie cinématographique, les tournages, avec leur lot de transports et de décors éphémères, sont souvent les premiers à être pointés du doigt. Pourtant, selon le rapport du Shift Project Décarbonons la culture !, l’un des seuls à s’être penché sur le sujet, en France, l’exploitation des salles de cinéma serait responsable de l’émission de 1,07 million de tonnes de CO2 par an environ (soit l’équivalent d’autant d’allers-retours Paris/New York en avion ; un aller-retour = 1,8 t CO2), là où la production cinématographique n’en produirait « que » 180 000 tonnes.
Et dans ce chiffre, 25 % seraient dues à la consommation d’énergie, 22 % aux bâtiments et au parc automobile, 18 % aux trajets des employés et 16 % à l’achat de produits, dont la confiserie.
Pour rendre leurs salles plus vertes, certains exploitants ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Anne Faucon est cofondatrice du réseau art et essai Utopia et gérante de la nouvelle salle de Pont-Sainte-Marie, près de Troyes, dans l’Aube. Le premier cinéma français à énergie positive. « Nous sommes partis à rebours de ce que les exploitants font habituellement, retrace Anne Faucon, en commençant par discuter avec l’entreprise Addenda [spécialiste de la qualité environnementale des bâtiments, ndlr], de ce qu’il était possible de faire en matière de géothermie, de photovoltaïque, de systèmes de refroidissement… Et ensuite seulement, nous sommes allés voir un architecte. » Résultat : les murs sont en bois, l’isolation en paille, les toilettes sèches, et le peu de déchets issus de la tisanerie sont compostés. « Les spectateurs sont ravis, beaucoup nous posent des questions, et certains font même visiter les toilettes à leurs amis ! », s’enthousiasme Anne Faucon.
« Contrairement aux idées reçues, ce genre de constructions ne coûte pas plus cher, précise Alain Castells, fondateur d’Addenda car « il permet de réaliser des économies sur d’autres postes. » Ici, le photovoltaïque compense 103 % des consommations électriques du bâtiment. Dans les Landes, à Aire-sur-l’Adour, Romain Davoine et Benoit Pfister s’apprêtent à ouvrir leur salle écopensée sur le site réhabilité de l’ancienne piscine municipale. A l’intérieur, des toilettes sèches, des murs en bois, des panneaux photovoltaïques et des projecteurs laser. Recommandés par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), ces derniers sont moins énergivores que les classiques projecteurs au xénon, mais demeurent plus chers à l’achat, et la qualité de l’image projetée ne fait pas encore complètement l’unanimité.
En parallèle, certaines salles se débrouillent, elles aussi, pour réduire leur empreinte environnementale. Au Nouvel Odéon, à Paris, Arnaud Boileau éteint chauffage et climatisation vingt minutes avant la fin de chaque séance et n’allume ses projecteurs qu’une heure avant le début d’un film. « Grâce à ces mesures, nous tendons vers une baisse de notre consommation d’énergie de 35 % par an. » Certaines séances qui marchaient moins bien ont aussi été supprimées, comme celle de 21 heures le dimanche. « En moyenne, il y a quinze spectateurs par séance de cinéma en France. Or, chauffer ou climatiser une salle à moitié vide n’a aucun sens ! De plus en plus d’exploitants ont donc choisi de supprimer les séances désertes. Amener de la sobriété, c’est aussi savoir réduire son temps d’ouverture. »
Est-ce alors aux cinémas indépendants de montrer la voie ? « C’est dans l’ADN des cinémas art et essai de se mobiliser sur ces sujets, tranche Arnaud Boileau. Même si les grandes salles s’améliorent, j’ai du mal à voir comment faire passer un message écologique en ayant un modèle économique basé sur le profit. » Entre la vente de confiseries et le développement de salles premium usant de technologies très énergivores, comme la 3D voire la 4DX, la transition écologique semble difficilement compatible avec le modèle des multiplexes… Mais la crise énergétique financière pourrait bien changer l’histoire.