BEAU MAGAZINE : Dans votre livre Le Jardin en mouvement, vous écrivez que le jardinier doit être un observateur au service de la nature, pour coopérer avec elle. Allez-vous observer votre jardin la nuit ?
Gilles Clément : J’ai commencé par observer des chenilles, des insectes, des métamorphoses extravagantes et tellement bizarres. C’est merveilleux. Bien sûr, j’ai aussi vu les martres, les fouines, les loirs, les lérots… ces mammifères qui vivent la nuit, probablement parce qu’ils ont été tellement chassés par des prédateurs le jour depuis des milliers d’années, qu’ils sortent lorsqu’il est plus facile pour eux de bouger sans être poursuivis. Le piège à photos que m’a offert ma fille m’a aussi permis d’apercevoir un renard, des lièvres, et de découvrir que c’est un chevreuil qui mange l’oseille de mon potager. Le monde végétal se transforme aussi, mais avec beaucoup plus de lenteur. Même si les belles de nuit, comme l’onagre, s’ouvrent au crépuscule, fleurissent toute la nuit, et fanent le matin.
BM : Comment cela s’explique-t-il ?
GC : La lumière du jour est trop forte pour elles, elles préfèrent s’ouvrir lorsque les rayonnements sont faibles. Comme tous les non-humains, les plantes écoutent leur corps et s’adaptent à leurs besoins pour pouvoir vivre et se reproduire.

« Comme tous les non-humains, les plantes écoutent leur corps et s’adaptent à leurs besoins pour pouvoir vivre et se reproduire »
BM : Comment cela s’explique-t-il ?
GC : La lumière du jour est trop forte pour elles, elles préfèrent s’ouvrir lorsque les rayonnements sont faibles. Comme tous les non-humains, les plantes écoutent leur corps et s’adaptent à leurs besoins pour pouvoir vivre et se reproduire.
BM : Attendent-elles impatiemment la fin de l’hiver ?
GC : Pas vraiment. Des conditions climatiques qui peuvent nous paraître difficiles ne sont pas vécues de la même façon par les plantes, ni même par les animaux. Le comportement végétal s’adapte aux situations extrêmes. Et si ces dernières se répètent, il finit même parfois par en avoir besoin. Par exemple il faut des coups de froid, de gel, pour que soit levée la dormance de certaines semences. D’autres ont besoin de chocs thermiques par le feu.
BM : Les jardins peuvent-ils nous apprendre sur ce que l’on devrait faire en ville ?
GC : Absolument ! Normalement, la nature est d’accord pour vivre avec nous si nous sommes d’accord pour vivre avec elle. Mais nous avons établi des lois, plusieurs directives européennes encadrent les plantes venues d’ailleurs et qualifiées d’« envahissantes » ou sous le terme plus péjoratif d’« invasives ». Les espèces envahissantes prétendues « locales » (le chiendent, par exemple, ou le sureau, les ronces, les orties, le chêne rouvre, etc.) ne sont jamais mentionnées, elles ont tous les droits car elles sont chez elles en quelque sorte ! C’est reconnaître un droit du sol uniquement pour les plantes d’origine locale. Pourtant, les nouvelles arrivées sont contentes d’être là ! Elles subissent assez bien le changement climatique, et c’est même quelquefois à cause de lui qu’elles sont venues. A contrario, celles qui étaient là disparaissent, parce qu’elles ne supportent plus le climat sous ces contrées. Mais si aucune ne peut rester, il reste quoi ? Ce n’est pas parce qu’elles circulent et déménagent, accrochées à nos pantalons, à nos semelles, embarquées à notre insu dans nos bagages, que les plantes s’installent partout, qu’elles vont être des invasives, ou un de ces termes imbéciles ou qualifications racistes. Il existe des frontières biologiques, les biomes, qui les restreignent. Un biome, c’est un ensemble de compatibilité de vies sous un climat déterminé. Une plante du désert ne va pas venir pousser en Arctique ou même chez nous. En revanche, une plante pourra passer de la zone tropicale d’un continent à celle d’un autre continent. Toutes les plantes que nous connaissons sont des nomades.
BM : Vous ne voulez pas éclairer votre jardin. Pourquoi ?
GC : Les lampadaires sont une très mauvaise idée. L’éclairage attire les insectes et leurs nombreux prédateurs. Ce qui contribue à leur destruction, et comme nous sommes en bout de chaîne… Il faudrait complètement changer de mode de vie si nous voulons continuer à vivre, prendre exemple sur la nécessité de respecter les rythmes de la lumière, du jour et de la nuit. Faire comme la marmotte ou le loir en période hivernale. C’est une chance de pouvoir se lever quand le corps se réveille, sinon on est assujettis aux horaires de la compétition, de la performance. Le travail, c’est antibiologique.