Ces jeunes qui dégenrent

Fille, garçon, non-binaire, gender fluid, trans… Dans la génération des 13-19 ans, ils sont nombreux à vouloir s’affranchir des identités sexuelles formatées pour s’accepter, tout simplement. Le photographe Stéphane Courtelle est allé à leur rencontre et ils/elles/iels commentent des clichés sur lesquels ils se trouvent beaux.

Fille, garçon, non-binaire, gender fluid, trans… Dans la génération des 13-19 ans, ils sont nombreux à vouloir s’affranchir des identités sexuelles formatées pour s’accepter, tout simplement. Le photographe Stéphane Courtelle est allé à leur rencontre et ils/elles/iels commentent des clichés sur lesquels ils se trouvent beaux.

L’avion postal a atterri dans sa chambre un jour de janvier 2022. Le petit planeur en origami retenait dans ses plis les mots de sa fille de 15 ans. La lettre lui annonçait qu’elle ne se sentait « ni fille, ni garçon » et que désormais il faudrait l’appeler Killian. Ça a été le déclic. Stéphane Coutelle, grand photographe pour la mode et la beauté, a eu envie de partir à la rencontre de cette génération. Son beau-fils a ouvert la marche et sa galerie de 200 portraits d’adolescents.

Depuis, le photographe reçoit une demi-douzaine de demandes par jour de jeunes entre 13 et 19 ans. « Je leur dis “venez comme vous voulez et accompagnés” », raconte-t-il. Des filles voilées, des jeunes hommes des beaux quartiers, des ados ultra-maquillés, des inhibés, des minces, des enrobés, des looks androgynes, des travestis, des jeunes aux seins bandés, des visages aux peaux parfaites ou avec des boutons d’acné… Trente minutes de shooting, un fond blanc, une image nette. Sur la cinquantaine qui sont déjà passés devant son objectif, aucun n’a accepté d’être retouché, alors qu’ils posent avec leur bouton ou leur nez qui brille. « Ils se fichent de la beauté classique, ils ont dépassé ces codes-là. » Dépassé ceux du genre aussi. Ils brouillent les pistes, s’affranchissent du binôme féminin-masculin, font évoluer les représentations. Passent d’un genre à l’autre, changent à nouveau, ou se reconnaissent dans la neutralité. Ils jonglent, naviguent, créent un nouvel espace et le vocabulaire correspondant. Non-binaire, gender fluid, trans… Ils nous en parlent.

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Félix, 16 ans

« Au début, je marchais sur des œufs. Devais-je l’appeler il ou elle, beau, belle, bello ?, continue Stéphane Coutelle. Ça a changé mon œil aussi. » Celui du photographe de beauté qui est très formaté, où la belle femme est parfaite, avec de grandes paupières, un grain de peau impeccable, de beaux cheveux… Il reconnaît que se confronter à cette réalité l’a parfois « bousculé ». Il a fini par faire abstraction d’un rouge à lèvres qui déborde, d’une acné à ne surtout pas photoshopper, à apprendre leurs codes et à ne plus avoir peur de se tromper de pronom. « Il y a une époque où j’aurais dissuadé un jeune de faire du mannequinat s’il ne correspondait pas aux canons, avoue-t-il. Maintenant, je serais plus prudent, j’aurais plus de chances de me tromper. Je me suis ouvert, cela me donne une plus grande liberté, même si je ne sais pas encore comment je vais l’utiliser. »  

Ils brouillent les pistes, s'affranchissent du binôme féminin-masculin… passent d'un genre à l'autre.


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A gauche, Sasha, 19 ans
Au centre, Killian, 15 ans
A droite, Zoé, 18 ans

 Sasha, téléopérateur

« Je suis encore bloqué sur le fait que la beauté est forcément incarnée par une personne fine, pas en surpoids. Ce que je ne suis pas. Même si le monde est plus ouvert, moins guindé, avec tous ces profils sur les réseaux sociaux qui expliquent comment s’habiller, comment maigrir, ce n’est pas forcément plus simple. Et puis, je viens d’une famille du 16e arrondissement de Paris, j’ai été formaté comme ça. Il y a quatre ans, j’ai fait mon coming out. C’est venu tard, car je ne connaissais pas ce monde, mais tout d’un coup, c’est comme si quelque chose osait se mettre en place. J’ai changé mon prénom pour un prénom mixte. J’avais les cheveux longs, j’ai commencé par les raser d’un côté. Puis j’ai porté des vêtements plus larges qui me masculinisent, des pantalons treillis et cargo. Je continue à me maquiller les yeux car je trouve ça beau. Je suis plus à l’aise quand j’induis un doute sur mon genre. Et quand je suis à l’aise, je me sens joli. Même si, parfois, je ne me sens pas à 100 % comme un garçon, même si parfois je doute, je me sens blessé si on me considère comme une femme. Mes amis l’ont tout de suite accepté. Ma famille est moins ouverte, mais mes parents m’appellent Sasha et je trouve ça très agréable. »

Killian, lycéenne

« Il y a quelques mois encore je portais beaucoup d’eye-liner et un vestiaire gothique. Depuis que je vis à New York, je m’inspire des styles que j’observe dans la rue plutôt que sur Internet et j’entretiens mes petites boucles blondes. Entre 13 et 18 ans, on se découvre, on cherche ce qui nous donne confiance en nous. Je me rends compte que c’est très lié à mon environnement. Je mesure 1,85 m, beaucoup de femmes aimeraient être grandes, mais moi ça peut me gêner. Certaines grandes marques essaient de sortir du stéréotype “grande fille mince sans taches de rousseur”. Le travail de la journaliste américaine Esther Honig m’a éclairée. Elle a envoyé son portrait à 40 graphistes dans 25 pays différents en leur demandant de la photoshopper pour la rendre plus belle. Elle s’est retrouvée avec un hijab, une peau plus claire, une peau plus foncée, une bouche plus rouge, plus épaisse, des yeux plus marron, plus bleus… Il y a tellement de standards de beauté différents ! La beauté est fluide, car finalement tout dépend de qui regarde. »

Zoé, étudiante

« J’aime la simplicité de ces portraits peu ou pas du tout retouchés, leur naturel. Savoir que des hommes et des femmes ne veulent pas rentrer dans ces clichés de genre, cela donne envie de s’accepter encore plus. Je suis née en 2004, une époque où on associait les filles au rose et les garçons au bleu, où on était encore élevés dans le schéma homme/femme. La case “non genré” n’existait pas. Lorsque je croise quelqu’un, j’ai encore ce réflexe de me demander si c’est un homme ou une femme. Alors que cette personne se considère peut-être comme ni l’un ni l’autre et qu’elle a suffisamment confiance en elle pour l’assumer et supporter les regards sur elle. Ce qui m’intéresse lorsque je vois un homme en jupe dans la rue, c’est de savoir s’il la porte bien et s’il me donne envie de la porter comme lui. La beauté n’est plus catégorisée comme avant, on est plus libres, même si les réseaux sociaux continuent de véhiculer l’image de la femme parfaite qui serait mince et élancée et poussent à se comparer. J’essaie de prendre du recul. Chacun avance à son rythme, mais les styles ont évolué. Ma vision de la beauté aussi. Peu importe le poids, le genre, c’est ce que l’on dégage qui m’importe, le charisme. »

Félix, bachelier

« Je me plais sur cette photo que Stéphane a prise de moi. Peut-être parce que j’y décèle un peu d’arrogance de ma part et que c’est une attitude que j’aime bien chez les autres aussi. Je pense que la beauté est le reflet d’une cohérence entre un physique et un caractère. Seul, le physique ne vaut pas grand-chose. Je ne pense pas non plus que l’on puisse parler d’une beauté féminine ou masculine. Surtout ces dernières années. Aujourd’hui, les hommes portent du maquillage, du vernis, des cheveux longs. Les bijoux, les tatouages, les teintures de cheveux, le style vestimentaire, sont devenus unisexes. Les nouvelles générations font évoluer le concept de genre en même temps qu’elles le font se confronter à la sexualité. Cela crée des styles uniques. Difficile parfois de distinguer un homme d’une femme. On peut alors être attiré par une personne avant d’avoir pu déterminer son sexe biologique. Alors le genre passe au second plan. On entre dans une zone neutre où l’on n’est pas réduit à être un homme ou une femme. On efface les identités de genre, on les réinitialise pour construire quelque chose de nouveau, qui permet de faire ce que l’on veut et laisse place à plus de liberté. »

MARJANE SATRAPI : ” SANS EMPATHIE ON ARRÊTE D’ÊTRE DES HUMAINS “

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