Voyager en pleine conscience

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En 2025, les voyageurs fuient les destinations saturées pour des expériences plus vraies, plus humaines. Ce nouvel élan ouvre la voie à une forme de tourisme plus conscient et engagé : l’hospitalité régénérative, portée par des projets comme ceux de Thierry Teyssier. Ici, le voyage devient alors une rencontre : il soutient les communautés, l’économie locale, et préserve l’environnement.

Ceux qui cherchent à accumuler des miles ou un nouveau tampon sur leur passeport ne l’intéressent pas, les destinations saturées de touristes non plus. Thierry Teyssier, entrepreneur et philanthrope, s’adresse aux autres. « À ceux qui basculent, qui ont dépassé le show off, qui ont soif de rencontres. Ceux qui veulent découvrir, s’enrichir humainement et repartir en ayant vécu une vraie expérience. Ils sont de plus en plus nombreux. » Une tendance confirmée par le rapport Hilton sur les tendances 2025 : 73 % des voyageurs recherchent aujourd’hui des séjours ancrés dans la culture locale, loin du tourisme de masse. L’inventeur du concept de 700.000 Heures (le nom de sa société et le temps moyen d’une vie humaine), a réfléchi à d’autres formes d’hospitalité, et veut revenir au sens premier du voyage.

En 2002 déjà, il transforme une kasbah des années 1920 en maison de rêve aux portes du désert marocain, et propose de prendre la route du Sud, embarqué dans une voiture tout-terrain avec une grande malle comme aux temps anciens. Un parcours en trois étapes, entre collines du pays des arganiers et oasis verdoyante, où le voyageur redécouvre les plaisirs de l’itinérance. Le caractère exclusif de haltes choisies, la micro-hospitalité chez l’habitant, et « ce côté comme à la maison avec un accueil et un service inégalés plaît et répond à un besoin », assure le patron de 700.000 Heures. Il a aussi imaginé un hôtel ambulant pop-up qui saute de continent en continent. « Nous avons insisté sur l’importance des rencontres culturelles, expli­que-t-il. A chaque étape, du Brésil au Japon, nous avons travaillé avec des communautés, y compris sur des sujets qui n’avaient pas de rapport avec l’hôtellerie.» Mais l’auberge ne s’installe que six mois dans chaque pays, « trop peu pour enclencher de vraies actions », reconnaît-il. Il décide alors de faire l’inverse, « concevoir une hospitalité au service du développement. » Il s’agit d’aller plus loin que d’équiper les chambres de poubelles de tri et de distributeurs de savons bio.

Le nomade du voyage s’associe à Diane Binder, fondatrice de Regenopolis, une société qui aide les entrepreneurs à s’engager sur le terrain. Ensemble ils donnent corps à « l’hospitalité régénérative », l’hospitalité au service du territoire. L’équipe radiographie les territoires, leurs ressources, leurs besoins, elle veut mettre en valeur le patrimoine local, les savoir-faire, éveiller la sensibilité du voyageur, le reconnecter à ce qui l’entoure. Le prix des nuitées contribue à financer le développement économique du lieu. Le concept a été validé. Le philosophe Baptiste Morizot a démontré l’impact positif de la formule. Il assure que cette solution régénérative permettait de mettre en place un vrai cycle vertueux engageant tout le monde : le client, le villageois, les collaborateurs, la nature elle-même.

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1. L’une des chambres d’un palais réaménagé.
2. La vue sur un oasis depuis un palais réaménagé
Crédits photo : 700.000 heures

Un modèle aux antipodes de l’image du touriste pilleur, et déjà expérimenté par l’ONG américaine Global Heritage Fund. Sollicitée par une association locale et les autorités publiques, Global Heritage Fund avait travaillé à la renaissance du vieux village de Tiskmoudine, au sud du Maroc, en finançant la restauration d’un grenier collectif jusque-là abandonné. Elle leur ouvrait la voie de cette destination qui est devenue le premier projet pilote de micro-hospitalité. Cinquante nuitées par an, pas plus, pour que l’activité soit rentable sans qu’elle étouffe l’économie du village. L’idée est d’aider le village à revivre économiquement, en visant à terme l’autosuffisance. « Avec la population, nous avons mis en place une quinzaine de projets, rapporte Diane Binder, une coopérative de tissage ou une autre de menuiserie, la réactivation des cultures ou la transformation des produits naturels de l’oasis. » Le programme inclut également des modules de formation visant à promouvoir l’emploi des femmes et des activités à destination des enfants. Les voyageurs ne mettent pas la main à la pâte. Ils vivent à l’heure du village, et celui-ci ne s’arrête pas de tourner pour les « divertir ». Les femmes font le pain ou élèvent des poulets pour les habitants et l’hôtel.   

« 700.000 Heures s’adresse à ceux qui veulent découvrir, s’enrichir humainement et repartir en ayant vécu une vraie expérience.»
 Thierry Teyssier
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Des tisseuses à l’œuvre dans le village de Tiskmoudine, au Maroc. ©700.000 Heures

« On aide au financement de départ, on paie les salaires la première année, explique Thierry Teyssier, et dans trois ou quatre ans, les revenus de l’hospitalité et des nuitées ne représenteront qu’une part infime de l’activité. » Une fois lancés, tous les projets finissent par interagir. Le sucre de dattes issu des cultures voisines est transformé depuis peu sur place et servi au petit déjeuner. Les fermiers se sont mis à produire des pois chiches, alors qu’ils étaient jusque-là importés à 90 % de Turquie. « Les troncs des palmiers qui n’étaient hier que des déchets servent aujourd’hui à construire des poulaillers, certains hommes du village ont commencé à travailler comme menuisiers. En tout, une centaine d’emplois ont déjà été créés. » Quant à ses clients, ils contribuent à changer le quotidien du village et repartent changés, assure-t-il. L’hôtelier est conscient du caractère exclusif car très privé et impossible autrement, et du public visé. Il sait qu’il ne résoudra pas à lui seul le problème du surtourisme, mais si déjà ces clients se sentent concernés et repartent avec un surcroît de sens, c’est tout gagné. « J’ouvre une fenêtre, je pense qu’on a eu tort de considérer nos métiers du tourisme uniquement comme des réponses de service. C’est la relation qui est centrale. » 

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Thierry Teyssier. ©Eric Martin/Le Figaro Magazine

Pas question donc d’augmenter la capacité d’accueil de voyageurs. L’idée est plutôt de labelliser la formule et de la développer ailleurs. Par exemple au Pérou. « Nous avons été contactés par une association qui fait de la reforestation et qui ne s’en sortait pas avec la partie hôtelière. Le lodge a creusé les budgets au lieu de financer les coopératives autour. » Il va prendre le relais et explique : « Cette formule peut intéresser des organismes du développement qui ont besoin de l’outil hôtelier, des hôtels eux-mêmes qui veulent se repositionner, des municipalités qui cherchent à limiter l’exode des populations locales, des gouvernements, ou des entrepreneurs. » Un projet est aussi attendu au Rwanda en 2025. Une start-up d’impact enregistre étape après étape les retombées et l’empreinte du programme, mais Thierry Teyssier est confiant. « Avec 50 voyageurs par village, quand bien même ils viendront en avion, nous montrerons que l’impact est positif pour les populations locales. Alors allons-y gaiement ! » 

Photo d’ouverture : 700.000 heures                            Site web : 700000heuresimpact.com

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