Salutation au désert

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Ses sculptures-totems se dressent face à l’immensité sèche de la Californie. Avec sa tronçonneuse, Dan John Anderson cherche l’âme du bois dans une géométrie ésotérique qui séduit de New York à Tokyo.

A deux heures trente de Los Angeles, Dan John Anderson s’est trouvé une planque idéale. Une maison dans le désert datant de 1959, agrandie et retapée, parée de tous bois, et à l’ambiance graphique, géométrique et ésotérique. Autour : 30 000 m2 de terrain, sans voisin, avec vue directe sur la montagne, au milieu des éléments. « Un espace unique, situé entre ciel et terre, dit-il, à l’origine hostile à l’homme, où la lumière et l’obscurité totale transcendent le quotidien, les lieux et les objets. Un territoire à part, accessible quand on démarre sa vie sans un sou en poche, à l’énergie folle, et qui se prête parfaitement à mon envie d’explorer matériaux et idées. »

Dans la maison restaurée presque en totalité par ses soins, ses objets-totems se déclinent en tabourets, tables et chaises sculptés dans les bois de pin, cèdre, séquoia ou noyer. Sur la terrasse et dans le jardin, ses sculptures se dressent en plein soleil, comme une salutation au désert. Partout, les formes sont organiques, arrondies, sensuelles. « Une représentation primitive de la sculpture. Mon travail consiste à transformer les matières pures et brutes sorties de la terre, à suivre mes visions, à comprendre l’âme du bois, à me connecter au sublime. S’ensuit un nécessaire dialogue avec la fonction. »

Originaire de l’Etat de Washington, à une centaine de kilomètres de Portland, Dan John Anderson, fils d’un père ouvrier et d’une mère enseignante, grandit dans une maison au cœur des forêts denses de sapins, de cèdres rouges, jaunes, et de pins. « Très tôt, la forêt est devenue mon langage, raconte-t-il. Grimper aux arbres, observer la canopée, scruter les animaux, a été mon quotidien d’enfant. C’est dans cette nature que j’ai rêvé et que j’ai imaginé mon monde. » Bon en dessin, il décroche une bourse à The Art Institute de Seattle, puis déménage à Portland où il s’inscrit à l’Oregon College of Art and Craft. C’est là qu’il forme, avec deux de ses camarades de classe, un premier collectif d’artistes baptisé Von Toudra.

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De gauche à droite : Dan John – Une table en damier au motif Smiley, tel un totem positif et fun.

Composé d’architectes et de designers, le collectif multiplie les projets de paysagisme, conçoit restaurants et maisons privées, collabore avec des galeries d’art de la région, et finit par se faire repérer par Andrea Zittel. L’artiste californienne, connue pour ses sculptures et ses installations minimales, invite cinq membres du collectif sur son campement d’AZ-West (1) pour un dîner-performance en plein cœur du désert. « Ma première expérience fut la bonne. Deux ans après ma rencontre avec Andrea, je déménageais à Joshua Tree et faisais la rencontre du sculpteur Alma Allen. Un mentor, dont l’approche spirituelle du bois, de la pierre, du bronze, est devenue une vraie source d’inspiration. »

« Le bois que je récupère provient de cèdres, séquoias, noyers… de vieux arbres disparus à cause
des tempêtes, des maladies ou des incendies »

Dan John Anderson
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Une création posée dans la cour de l’atelier.

Lancé en solo, Anderson ouvre son atelier en plein air, dans le jardin, à l’arrière de la maison. Il y entasse piles de bois et troncs, meules, tronçonneuses, et ouvre un garage pour garer ses motos. « Je ne suis pas un radical de l’écoresponsabilité, mais j’essaie d’être naturellement responsable dans mon approche artistique, de vivre en harmonie avec la nature et de créer des objets que l’on puisse transmettre de génération en génération, reconnaît Dan. Le bois que je récupère provient des collines environnantes et du programme de recyclage du bois urbain Street Tree Revival, créé par l’entreprise West Coast Arborists qui recycle les cèdres, les séquoias et noyers disparus à cause des tempêtes, des maladies ou des incendies. Des arbres parfois vieux de 200 à 300 ans, à qui j’essaie de donner une nouvelle vie. » Assisté par deux sculpteurs, le casque toujours vissé aux oreilles, écoutant podcast ou musique, Dan ébauche ses formes à partir de sa tronçonneuse dans un instant « aussi physique que méditatif » dit-il, les passe ensuite à la meuleuse, fait sécher, enduit le bois d’huile et de cire, pose patchs et joints aux endroits des fissures.

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De gauche à droite : Les pièces en bois tourné servent de chaises – Dans sa maison datant de 1959 et restaurée à sa façon, les totems semblent former une famille.

Des pièces qui depuis quelques années séduisent les meilleures galeries et showrooms. Proposées chez Matter Design, à New York, invitées à la NYC Design Week, au Palm Springs Art Museum, ses créations s’exposent aussi à Los Angeles au sein de la sélection The Future Perfect. Des totems géants, plantés dans les jardins de la Fuller House, l’ancienne demeure du producteur hollywoodien Samuel Goldwyn (à qui l’on doit la Paramount Pictures et la Metro-Goldwyn-Mayer) et qui ravissent les collectionneurs et propriétaires de villas d’Hollywood ou de Beverly Hills. Signe de l’engouement pour l’artiste, le Sea Ranch, un monument de l’architecture californienne et environnementale des années 1960, vient lui aussi de passer commande.

Depuis peu, le travail de Dan John Anderson a traversé les frontières pour s’inviter au Japon, au sein de la galerie Curator’s Cube, à Tokyo. « Un pays dont l’ambiance résonne particulièrement bien avec mes créations. En visitant le studio et la résidence du sculpteur Isamu Noguchi [1904-1998], sur l’île de Shikoku, j’ai vu la force magnétique et spirituelle que pouvait exercer la lumière sur les lieux et les objets. Une atmosphère de cathédrale, divine, qui donne la chair de poule. Voilà l’émotion que j’espère faire atteindre un jour avec mon art. »

En 2024, Dan John Anderson retrouvera son Japon sacré pour sa première exposition solo, et rêve de projets avec la France.

(1) L’artiste américaine Andrea Zittel, née en 1965, a cofondé « High Desert Test Sites », une série d’ateliers et de lieux d’art expérimental situés le long d’un tronçon du désert de Joshua Tree, en Californie. Elle vit ici depuis dix ans, dans sa maison-atelier-bureau baptisée A-Z West.

Site web : danjohnanderson.com

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