L’école de la vie

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A Madrid, un bâtiment simple, presque naïf, un peu comme un jeu de construction. Cet ovni architectural, bâti sur une ancienne déchetterie, est le Colegio Reggio. Son auteur, Andrés Jaque, l’a conçu comme un manifeste écologique combiné à un support d’enseignement alternatif où chacun a son mot à dire, y compris ses occupants de 2 à 17 ans.

Imaginons un instant une école où le champ des possibles l’emporte sur les règles, où les élèves sont encouragés à devenir acteurs de leurs apprentissages. Une école où le vivant est roi, les enfants mais aussi les insectes, les chauves-souris et les arbres indigènes. Une école réparant la biodiversité perdue par l’usage intensif des engrais et des pesticides.

Nous sommes au nord de Madrid, à l’école Colegio Reggio, conçue par Andrés Jaque et prisée des familles en quête de pédagogies alternatives. Qui d’autre que cet architecte espagnol engagé pour faire voler en éclats les codes étriqués des lieux d’enseignement ?

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1. Au rez-de-chaussée se trouvent les élèves les plus jeunes. ©José Hervia
2. Le grand gymnase au deuxième étages. ©José Hervia

Dans l’univers policé de l’architecture, certaines personnalités se démarquent, autant pour leurs créations que pour leurs prises de position. Andrés Jaque fait partie de ceux pour qui cette discipline est éminemment politique, sans quoi elle est, selon lui, tout simplement vaine. En 2003, à Madrid, il crée l’Office for Political Innovation (Offpollin), bureau de recherche transdisciplinaire et réflexive. Refusant de baisser les bras face au monde qui s’effondre, il en est convaincu : l’architecture peut l’aider à se reconstruire. Il en est de tous les combats, de la cause queer à la spéculation immobilière en passant par la décroissance et l’extraction massive de titane en Afrique. A 53 ans, il vient d’être récompensé par le Global Award for Sustainable Architecture, distinction internationale qui célèbre tous les deux ans des pratiques militantes, et partage sa vie entre la capitale espagnole et New York, où il est le doyen de la prestigieuse école d’architecture de l’Université Columbia. 

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Jeu de perspective ©José Hevia

Un engagement de chaque instant qu’il a pu mettre à profit à Madrid avec son Colegio Reggio, ovni architectural, manifeste écologique et support de pratiques d’enseignement alternatives. Dans cette ancienne déchetterie à l’abandon, à proximité du parc public de Valdebebas, le projet repose sur l’idée que l’architecture « peut éveiller chez les enfants le désir d’exploration, explique Andrés Jaque. L’école est pensée comme un écosystème complexe, permettant aux élèves de mener leur propre éducation à travers un processus d’expérimentation collective autodirigée. » La conception de Colegio Reggio repose ainsi sur l’intelligence collective, développée en concertation avec les enseignants, les élèves de 2 à 17 ans et les parents intégrant leurs idées, préoccupations et sensibilités. L’éducation y est envisagée comme un processus d’interaction sociale afin de protéger les enfants des maux contemporains que sont l’isolement, le harcèlement ou la ségrégation. « De cette façon, l’école contribue à la mixité sociale et à la construction de la tolérance, ainsi qu’à l’activation de l’espace public en tant que lieu d’interaction intergénérationnelle », poursuit l’architecte.

 «L’architecture peut éveiller chez les enfants le désir d’exploration »

Andrés Jaque

Au service de cette vision progressiste répond une architecture iconoclaste. Le bâtiment recourt à l’empilement afin de limiter son emprise au sol. La progression verticale commence au rez-de-chaussée, destiné aux plus jeunes élèves. Elle se développe au fil des étages où les enfants cohabitent avec des réservoirs d’eau et de terre récupérées. Ces réservoirs alimentent un jardin intérieur dans les niveaux supérieurs où se trouvent les salles de classe des plus âgés. Cette capacité croissante des élèves à explorer l’écosystème scolaire par eux-mêmes se traduit ainsi dans l’organisation spatiale de l’édifice. Elle échappe à toute forme d’homogénéisation. Et suscite l’interrogation des passants.

Dans son architecture, l’école est également un puissant manifeste écologique. Elle est pensée aussi bien pour les élèves que pour le vivant dans sa globalité. Plus qu’un bâtiment, c’est un écosystème vivant et réparateur. Recouvrant 80 % des façades, une enveloppe de liège sert à la fois d’isolation thermique et de support où se nichent la faune et la flore locales. Les choix constructifs sont environnementaux et dictés par l’économie de matière. Tout ce qui n’est pas nécessaire a été supprimé : ni bardage ni faux plafond ni plancher technique ni revêtement mural. « Le résultat est un bâtiment nu, où la visibilité de ses composants fonctionnels définit son esthétique », résume Andrés Jaque. Une chose est sûre, ce joyeux assemblage ne laisse personne indifférent, témoignant de ce dont l’architecture est capable quand il s’agit de penser l’école autrement. 

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