

©Martin Colombet
J’ai rendez-vous avec Pénélope Blanckaert dans ses bureaux du 9e arrondissement de Paris. Après des années d’expertise au service des grandes maisons et salles de vente, elle vient de lancer Penelope’s Auction, une plateforme de vente aux enchères d’articles de luxe dédiée à la mode. Ce qui frappe immédiatement chez elle, c’est sa connaissance et son amour du vêtement, avec cette conscience aiguë que tout se joue dans la précision des proportions. Une passion développée à un moment où Internet et son avalanche d’images et d’informations en continu n’existaient pas. Où, comme elle le raconte, les seules sources d’accès à la mode étaient le magazine Elle de sa mère et les catalogues des 3 Suisses et de La Redoute, vendus deux fois par an. Dans ces années 1980, qui la voient grandir, la jeune Pénélope compte et compose, à l’aide de sa calculette, sa future garde-robe à partir de ces bibles de papier glacé.
Elle découvre le phénomène de la seconde main aux Etats-Unis, pays précurseur dans ce domaine avec des fripes à bas coût. En France, ce marché est presque inexistant. Après des études à l’Institut français de la mode, elle effectue un stage chez Yves Saint Laurent. Elle y assiste à une vente aux enchères consacrée à la maison de couture. « Il y avait encore très peu d’enchères de mode, personne ne s’y intéressait vraiment, en dehors des musées et des professionnels, et rares étaient les particuliers qui venaient s’acheter des vêtements. » C’est là qu’elle rencontre le duo en charge des ventes mode chez Drouot. N’étant pas faite pour les studios de création et leur férocité, Pénélope se lance dans l’aventure. Un moyen d’être au contact des pièces sans avoir à souffrir de la dureté du milieu qui les fabrique. Privilégiant ce côté-là de l’affect lié au produit plutôt que celui de l’industrie, dont la survie surfe justement sur ces affects.
« J’aime autant la mode qui a sa place dans les musées que celle que l’on porte tous les jours. Que cela reste un moyen d’expression et de confiance en soi »
Il y a d’abord ce rapport à l’intimité, immédiat et puissant. Entrer chez quelqu’un, étudier, évaluer sa garde-robe, c’est une façon de retracer plusieurs époques de sa vie. Pour chaque souvenir, il y a un vêtement. La valeur qu’on lui accorde, sûrement la plus importante, dépend du niveau d’intimité que l’on entretient avec lui. Le nœud dramaturgique dont on imprègne ses fibres : ce que le vêtement nous raconte de nous-même, de notre histoire, et de ce que l’on cherche à dire de nous à travers lui.
« Quand j’ai monté mon cabinet, j’ai demandé des vêtements aux mères de mes amies afin d’organiser ma première vente. A l’époque, ce que l’on trouvait aux enchères ne courait encore que jusqu’aux années 1970. Ces femmes s’étaient beaucoup habillées avec les créateurs des années 1980, c’était donc la première fois que l’on vendait des pièces aussi récentes. J’ai ainsi pu réaliser la première vente Maison Martin Margiela, la première vente de mode nippone aussi. Rien n’était coté, c’était une vraie prise de risque. On avait la volonté de placer la mode au même rang que les autres arts qui passaient par les salles de vente. »

Je comprends aussi que ce qui fait la valeur d’un vêtement, c’est son image, son iconographie. Où l’a-t-on vu ? Qui l’a porté ? Avec quoi ? Et surtout, pour Pénélope, une fois le vêtement dans ses mains, comment le photographier et quel look créer afin que les potentiels acheteuses et acheteurs puissent se projeter ? C’est d’ailleurs tout le marché de la seconde main qui s’est structuré de la sorte. On est passé des bacs de friperie où l’on fouille à des adresses spécialisées où tout est minutieusement sélectionné en fonction de l’identité que l’on souhaite donner à la boutique, de la communauté dont on se revendique ou à laquelle on s’adresse. La valeur d’un vêtement, c’est aussi son symbole, son marqueur identitaire.
« On fait de constants grands écarts. D’un côté, on a les sacs à main extrêmement compétitifs. Il y a une demande incroyable, les prix peuvent s’envoler très vite. Mais en dehors de cela et de certaines pièces, la mode reste le parent pauvre de la vente aux enchères. Et j’aime cette idée qu’à travers ce système, on offre aussi un accès démocratique au travail des créateurs et des grandes maisons. C’est une approche qui me plaît. J’aime autant la mode qui a sa place dans les musées que celle que l’on porte tous les jours. Que cela reste un moyen d’expression et de confiance en soi. J’aime bien ce grand écart entre des robes à 150 € et une robe Paco Rabane que l’on a vendue 1,5 million de dollars à New York, un record mondial. Je me permets d’aller partout où sont les maisons de mode. »
Les ventes aux enchères sont toujours tributaires du public, et c’est cet aspect participatif qui garantit leur succès. La valeur fluctue en fonction de différents paramètres. Certains créateurs ou créatrices sont tombés dans l’oubli, et Pénélope tient à leur consacrer des ventes afin de faire redécouvrir leurs pièces et leur accorder ainsi l’attention qu’ils ou elles méritent.


©Martin Colombet
L’intérêt porté au vêtement, le fait de l’avoir sur soi, le rend signifiant dans l’époque. Le fait d’en prendre soin et de le transmettre par la vente ou l’héritage contribue à sa valeur. Il n’y a pas si longtemps, la plupart des maisons montraient peu d’intérêt à garder leurs archives, tandis qu’aujourd’hui, il apparaît essentiel de reconstituer son patrimoine. « C’est incroyable comme, en l’espace de dix ans, les choses ont changé… »
Qu’importe que l’on vive dans un monde où les tendances, les moyens et les habitudes de consommer les vêtements bougent à une vitesse folle, il reste pour Pénélope Blanckaert une constante : « La mode, c’est le moyen de se dire au monde, c’est la première information sur soi que l’on renvoie à l’autre. » Et de citer Oscar Wilde, « il n’y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les apparences ».



2. LOT 234 : manteau Prada automne-hiver 2013-2014. Estimation : 380 – 480 €.
3. LOT 10 : Robe Alaîa printemps-été 1986. Estimation : 500 – 800 €.
Crédit photos : ©PENELOPE’S
Un shoot de style
Penelope’s Auction consacre sa nouvelle vente aux enchères en ligne, en collaboration avec Drouot Paris, aux créateurs français et européens : robes Alaïa version Grace Jones ou patineuse, vestes Celine période Hedi Slimane, sacs Chanel des années 1960 jusqu’à l’ère Karl Lagerfeld, ensembles Christian Dior des années 1960 ou 1970, créations Hermès époque Martin Margiela, robes en résille imprimées emblématiques de Jean Paul Gaultier… Mais aussi, Loewe par Jonathan Anderson, Bottega Veneta, Gucci, Fendi, Louis Vuitton… Au total, 250 lots de vêtements et accessoires sont mis en vente pour tous les goûts et à tous les prix. Des pièces iconiques qui ont une histoire et représentent, chacune à sa manière, des périodes et chapitres précis de chaque maison. Et qui feront le bonheur des amateurs de belles choses intemporelles.
Paris Vintage #7, vente aux enchères jusqu’au 20 octobre.
Retrouvez les informations sur les lots et les estimations, ainsi que le calendrier des prochaines ventes sur le site web : www.penelopesauction.com/





