À quelques kilomètres au nord de Bordeaux, à Bruges, ville de 30 000 habitants, l’école Frida-Kahlo fait partie de ces petits miracles qui changent la vie de celles et ceux qui la fréquentent. Associée à Bordeaux Métropole, la municipalité a voté la construction d’un nouveau groupe scolaire pour répondre à l’accroissement de la population. Soit 16 classes (6 maternelles et 10 élémentaires), une cantine et un pôle dédié au périscolaire sur 2 800 m². La commande tient en quelques mots : un établissement innovant à hautes performances énergétiques pour septembre 2022. Rien de plus !
De ce programme ouvert et peu directif, rare, Compagnie Architecture (Chloé Bodart et Jules Eymard) a fait son meilleur atout. En France, il est très difficile pour un architecte d’imaginer un bâtiment scolaire sortant des sentiers battus. Trop d’idées préconçues, trop de normes, trop de sécurité. L’élève évolue à l’école sous cloche dans un environnement formaté et aseptisé laissant peu de place à sa curiosité. A de rares exceptions près, les établissements se suivent et se ressemblent, reproduisant les mêmes principes qui ont pourtant démontré leurs limites. Parfois, les planètes s’alignent, réunissant des architectes engagés, soucieux de faire avancer le débat, et un maître d’ouvrage suffisamment éclairé. « Cette liberté nous a permis de proposer un autre rapport à l’apprentissage, de sensibiliser les enfants à leur environnement et de leur offrir un lieu qui les aide à devenir les citoyens de demain. »
Ainsi, les architectes ont-ils laissé de côté les pensées limitantes qui entravent la conception des équipements scolaires. Oui, un enfant peut passer par dehors pour se rendre à la cantine. Oui, il est possible d’agrémenter la cour de récréation de copeaux de bois. Oui, les espaces interstitiels peuvent être livrés à la créativité des élèves sans crainte. Le projet puise son inspiration dans l’imaginaire de la cabane, ludique et poétique, empreint d’une certaine modestie. Trois ans de chantier plus tard, l’école se compose de cinq grandes maisons reliées par une passerelle autour d’une cour plantée. Un toboggan qui relie la cour haute et la cour basse est vite devenu « la mascotte de l’école », se réjouit Chloé Bodart. Les enfants l’empruntent depuis leur classe pour rejoindre la cantine au rez-de-chaussée. Les moins téméraires peuvent choisir les escaliers. Chaque classe bénéficie d’une double orientation et de la possibilité de faire cours à l’extérieur. Le mouvement des écoles de plein air de l’entre-deux-guerres (lire encadré) fut une réelle source de réflexion pour les architectes.
L’école Frida-Kahlo est la première à être certifiée E4C2 en France, le niveau de performance le plus exigeant. Elle est en bois (structure, menuiseries, isolation), un matériau à faible empreinte carbone et issu des filières locales. Elle intègre une chaufferie bois, des puits climatiques (pour rafraîchir ou réchauffer naturellement l’air ventilé) et des panneaux photovoltaïques sur la toiture permettent d’atteindre l’autonomie énergétique. Ces dispositifs ne se cachent pas. Au contraire, ils s’affichent pour que les élèves, citoyennes et citoyens de demain, les comprennent et s’en emparent. Les matériaux sont apparents, tout comme les prises d’air des puits climatiques, tandis que la livraison de la chaufferie bois se fait sur le parking, à la vue de tous. « L’école est conçue comme un objet pédagogique. Les élèves sont encouragés à explorer, à développer une “culture de la curiosité” basée sur l’élargissement de leur champ de travail habituel afin d’acquérir de nouvelles connaissances », résume Chloé Bodart. Un bâtiment ouvrant la voie à un autre rapport à l’apprentissage mais aussi à la sensibilisation au monde vivant, aux éléments naturels, dès le plus jeune âge.
L’établissement est exemplaire par son caractère inclusif. Exit le sacro-saint terrain de foot dont on connaît les effets excluants, l’école Frida-Kahlo est non genrée et se veut un lieu d’épanouissement. Les jeux proposés – butte plantée, marquages au sol colorés, « mur joyeux » pour développer la motricité, des lieux de grimpe et d’acrobatie – comme les toilettes sont mixtes, ce qui pour l’heure ne semble pas poser de problème. En quelques mois, l’appropriation de cet outil pédagogique hors norme fut un succès. L’architecture pour changer le monde, à condition qu’on lui en laisse la possibilité.
LES ÉCOLES DE PLEIN AIR
Le mouvement des écoles de plein air remonte au début du XXe siècle, né sous l’impulsion du courant hygiéniste. Des pédagogies comme Célestin Freinet en France, Maria Montessori en Italie ou Ovide Decroly en Belgique sont convaincues qu’il est possible d’apprendre différemment. L’apogée du mouvement a lieu après la Première Guerre mondiale. En France, l’Ecole de plein air (EPA) de Suresnes (Hauts-de-Seine), achevée en 1935 par Eugène Beaudoin et Marcel. Lods, reste un exemple majeur, classé Monument historique en 2002. Vers 1950, le mouvement va décliner, même s’il est ancré en Scandinavie, à l’instar des « écoles du dehors » au Danemark. La crise sanitaire a jeté une lumière inattendue sur la nécessité d’entrevoir différemment les espaces d’apprentissage. Mais le chemin vers un changement de paradigme reste à faire. En 2023, c’est toujours entre quatre murs que l’élève apprend le français et les maths.