Après avoir vu naître l’école de mode Casa93 à Montreuil et la formation cinéma Kourtrajmé à Montfermeil, la Seine-Saint-Denis accueille un nouvel établissement à Clichy-Montfermeil. Sous la houlette de l’Ecole nationale des arts décoratifs (Ensad) et des Ateliers Médicis, eux aussi installés là, La Renverse est une école pluridisciplinaire qui fait sauter les barrières régissant les écoles d’art. « La Renverse fait partie des projets des Ateliers Médicis qui participent à l’intégration aux formations artistiques des personnes ayant des freins, soit culturels, soit économiques, explique Mark Gore, le directeur de l’établissement. Cela part d’un constat politique : il y a une reproduction des élites culturelles relativement forte dans les écoles d’art, qui est d’autant plus encouragée par les discriminations économiques. Faire une école d’art, ce n’est pas donné ! La Renverse est une manière de faire autrement. »
Si elle n’est pas certifiante (pour le moment), La Renverse veut servir de tremplin aux talents contraints de prendre d’autres voies que celles de la culture. Son année de formation est accessible aux 16-23 ans, sans aucun prérequis. Pas même le bac. « Les jeunes de milieux modestes ont plus de mal à faire des études artistiques car elles font peur, on pense souvent que ce sont des études qui ne mènent à rien. Parfois, on n’a tout simplement même pas conscience qu’elles existent ! », constate Laure Vignalou, chargée de la diversité sociale et des initiatives de soutien aux étudiants de l’Ensad. « L’objectif est de redonner, voire de donner confiance à certains élèves. »
Former, accompagner, encourager
Le discours a séduit. Trente candidats ont osé tenter leur chance l’été dernier, et treize ont été retenus pour constituer la première petite promo. Un effectif presque utopique à l’heure où le nombre d’élèves ne fait qu’augmenter dans les classes de collège et de lycée. Mais un choix que défend Mark Gore : « Cela permet de tenir compte des potentielles fragilités de ceux pour qui les métiers artistiques ne sont encore qu’un rêve. On donne le temps et les moyens. »
Couture, photographie, scénographie… « Toute matière pour candidater est bonne à prendre, qu’elle soit écrite, filmée, ou autre, poursuit le directeur. On ne tient pas compte d’éléments qui parfois sont dus à des parcours scolaires compliqués, des orientations qui ont brisé la confiance des gens. Personne ne doit remplir un formulaire de 150 pages ou envoyer un million de documents auxquels il n’a parfois même pas accès. Pour nous, c’est aussi cela l’inclusivité. »
Installée au troisième étage du flambant neuf conservatoire de Clichy-sous-Bois, l’institution promet durant une année scolaire de former, d’accompagner et, surtout, d’encourager les apprentis artistes dans leurs pratiques. « Je fais de la photo, mais grâce à La Renverse, je me suis intéressé à la vidéo et à la scénographie, confie Soillahe Hamadi, étudiant de 23 ans originaire de Champigny-sur-Marne dans le Val-de-Marne. Côtoyer des personnes aussi passionnées que moi, c’était particulièrement motivant. On est peu, dans un super lieu, avec beaucoup d’espace et de matériel. C’est l’endroit parfait pour peaufiner son art. » Et s’y investir à 100 %.
« Personne ne doit remplir un formulaire de 150 pages. Pour nous, c’est aussi cela l’inclusivité »
Gratuite, grâce aux subventions de la Fondation de France et de la Métropole du Grand Paris dont elle bénéficie (en plus de la participation financière provenant du budget de fonction de l’Ensad et des Ateliers Médicis), La Renverse promet une gratification de 430 euros par mois par élève. Une bourse attribuée à tous et sans condition pour éviter l’absentéisme. Et ce n’est que le début. « Dans un second temps, on aimerait que l’école devienne certifiante et, dans ce cadre, pouvoir également instaurer des bourses qui soient en lien avec le niveau de difficulté financière de l’étudiant », précise Mark Gore.
Le programme est dense, mais peut faire rêver : photographie, vidéo, graphisme, couture et scénographie, visites d’expos, d’ateliers, projets personnels… « L’anglais et la rédaction permettent de redonner goût à l’écriture. Avec les réseaux sociaux, il est essentiel de savoir parler de son travail de façon formelle. Cela fait partie des clés qu’on a voulu leur donner. » Très vite, les projets personnels des élèves ont aussi pris leur place centrale dans le programme. « C’était une demande de leur part, souligne Mathilde Moreau, assistante pédagogique. Ils voulaient avoir la possibilité d’insérer leurs pratiques et leurs intérêts dans les programmes afin de bénéficier de conseils, de matériaux, etc. » Une école qui écoute ses élèves ? « Les nombreuses conversations avec les étudiants nourrissent nos réflexions pour les années à venir ! », poursuit l’assistante pédagogique.
Ce dialogue permanent a permis d’aiguiser les pratiques des élèves, les amenant dans des directions qu’ils n’auraient jamais imaginées. Mohamed a très vite associé son intérêt pour la photographie à l’édition papier. Il a créé deux magazines qui lui ont permis d’exposer ses portfolios : des portraits des habitants de sa ville et le quotidien de son père, forgeron. Hawa s’intéressait, elle, au dessin avant de découvrir la scénographie. Sa pratique a évolué vers la 3D. Elle a consacré son projet final à une maquette inspirée des squats. « Certains élèves sont arrivés avec plein de compétences, mais sans savoir comment les mettre en œuvre quand d’autres avaient conscience de leur pratique et de la direction qu’ils voulaient lui donner », précise Mark Gore. C’est le cas de Manel. A la tête d’une marque de vêtements en crochet, cette créatrice est entrée à La Renverse pour développer et promouvoir son projet.
Le temps d’un stage d’un mois, les élèves vont ensuite exprimer leurs talents en entreprise. Une apprentie plasticienne chez l’artiste textile Jeanne Vicérial (diplômée des Arts déco). Mohamed, le photographe éditeur, aux côtés du photographe Alassan Diawara.
« Les nombreuses conversations avec les étudiants nourrissent nos réflexions pour les années à venir »
À la rentrée, Soillahe, qui s’intéresse à la vidéo et à la scénographie, veut continuer en freelance. Pas de reprise d’études donc ? « Je suis dans une optique professionnalisante. Même si je suis intéressé par le cursus en réalisation de Kourtrajmé et les formations de la Maison du film. Je cherche à en apprendre davantage. » Et après tout, donner le goût de l’apprentissage, n’est-ce pas le rôle premier d’une école ?
Adresse : Ateliers Médicis, 4, allée Françoise-Nguyen, Clichy-sous-Bois (93).
Instagram : @larenverse93